Page 150

27f 90-2

Séfoula, du i6”au 23 octobre. Des sources du Séfoula, il fallut quatre jours à une bande de douze hommes pour nous ouvrir un passage à travers la forêt de Kanyonyo. Et alors, quel déboire de trouver que le petit vallon et les hauteurs avoisinantes étaient tout couverts de champs verdoyants, et qu’il ne nous était pas possible d’y trouver un pied-à-terre. De là des pourparlers et de nouveaux délais. « Etablissez^ vous à Kanyonyo, nous faisait dire Léwanika irrité contre ses gens, le val est à vous, ils le savaient. Fermez les yeux et les oreilles, paissez vos boeufs parmi ces champs, n’en ayez cure. » Et dans cinq ou six semaines, ces gens qui meurent de faim — car il y a famine — commenceront à manger leur maïs, leurs patates et leurs citrouilles ! Au lieu de cela et sans hésiter davantage, je tournai mon timon vers l’emplacement que nous avions choisi il y a deux ans. Nous y arrivions le 11 octobre au soir, après une journée fatigante et aventureuse. Après deux mois pour faire à peu près cent et quelques lieues, nous avons donc cessé de rouler. Gela nous paraît étrange. Ni ma femme ni moi n’avons de goût pour les voyages en wagon, ce qui les rend nécessairement d’autant plus prosaïques et ennuyeux. Si nous avons eu une vie missionnaire si ballottée et si errante, ce n’est pas par choix, mais simplement par devoir. Nous soupirons après quelques années de halte dans notre pèlerinage, après un petit coin qu’il nous soit encore permis d’appeler ici-bas notre home, et surtout après quelque travail autre que d’entasser des briques et du mortier, défricher et planter pour nos successeurs... Nous bivouaquons sur un coteau de sable, couvert de broussailles épaisses récemment brûlées, au milieu d’un bois qu’on a saccagé sans pitié, de l’aspect le plus triste et sans ombre. De cent pieds de hauteur, la vue plonge sur le Séfoula, dont les jungles et les fourrés cachent le courant ; elle suit les ondulations verdoyantes des bois d’au delà, puis va errer sur les collines lointaines dont le bleu se confond avec celui du ciel. C’est le sud. A l’ouest, elle s’échappe à travers quelques tronçons desséchés et des arbustes mutilés sur cette vaste étendue dénudée qu’on appelle la Vallée. Le bo-Rotsi n’est pas le Lessouto, Séfoula encore moins Léribé... Nous nous y habituerons. Des gens occupés ne savent pas ce què c’est que la nostalgie. Mais, hélas ! à Séfoula, tout est à créer et nous ne sommes plus jeunes... Y aurons-nous jamais un arbre fruitier, un seul? une maison? Nous aurons le loisir d’en rêver. La grosse question du moment qui m’absorbe et me préoccupe, c’est la possibilité qui nous menace, ma femme et moi, d’être séparés pour toute une année ! Par quel moyen puis-je la chercher, la faire voyager au milieu des pluies, et l’amener ici avant que l’inondation ne nous surprenne dans le désert ? Gomment pourrons-nous nous abriter pour la saison pluvieuse ? — Il faudrait voler pour faire en un mois le voyage de Séchéké, aller et retour, et un wagon à boeufs, par des chemins pareils, ne vole pas. Je n’ose penser à la rivière avec ses rapides, ses dangers, ses canots toujours à moitié pleins d’eau... La famine est telle ici que nous ne pouvons pas trouver d’ouvriers. Chacun court les bois ou va à la pêche pour pourvoir aux besoins des siens. Nous- mêmes, nous ne vivons, comme tout le monde, que de poisson sec que nous achetons cher et de cassave. Le pays est brûlé, la saison est avancée et nous n’avons pas encore pu trouver de chaume pour mettre un toit sur nos bagages ou sur nos têtes. Tout est sombre. Mais des ténèbres aussi jaillira la lumière. Je le connais, Celui qui m’a cent fois dit : « Invoque-moi au jour de la détresse, je t’en délivrerai et tu me glorifieras. » Il tient toujours parole. Quand le chrétien est à bout de ressources et se rejette entièrement sur son Dieu, le secours n’est pas loin. « Il est bon d’attendre, même en se tenant en repos, la délivrance de l’Eternel. »


27f 90-2
To see the actual publication please follow the link above