hommes et bêtes; on ne marche plus, on se traîne. Aussi saluons-nous d’un cri de joie une éclaircie qui nous laisse entrevoir une nappe d’eau. C’est Matsa1 ! ' Au ruisseau Siboya, 3o août. Les gens de Moanza nous donnent une infinité de tracas; ils ne veulent rien faire ; la nuit, ils ne voyagent pas, eux ; le matin il fait trop froid pour jouer de la cognée; au milieu du jour, il fait trop chaud. J’ai vainement essayé de me défaire de ces vampires gloutons ; ils attendent des setsiba, du calicot. Ils ont pourtant réussi à nous égarer sciemment dans les bois, loin de notre direction, dans le voisinage d’une zone de tsetsé. Dieu sait où ils nous eussent conduits, si certains chefs de Séchéké, qui vont à leur tour saluer le roi, ne nous avaient envoyé de bons guides. La forêt était épaisse, le sable profond et nos boeufs épuisés; c’était samedi et il fallait à tout prix arriver à l’eau. Nous laissons deux wagons et prenons tous les boeufs pour tramer les deux autres. Nous nous taillons courageusement notre chemin dans les fourrés; mais impossible de savoir la direction générale que nous devons suivre, et de l’est à l’ouest, et vice versa nous faisons des zigzags à tous les points de la boussole. Nous arrivons pourtant à la brune près d’un charmant ruisseau qui coule au nord et porte ses eaux dans un affluent du Ndjoko. Nos jeunes gens, fatigués, se mettent en grève et refusent tout service. Le lendemain fut un triste dimanche, car il nous fallut chercher les autres voitures laissées dans un désert sans eau. J’avais la tristesse dans l’âme. A quatre heures de l’après-midi, nous jouîmes du spectacle imposant d’une éclipse totale de soleil. C’était splendide. Nos garçons, cachés dans les bois, accouraient tout atterrés. « Yo ! nous allons périr ! » Les poules se perchaient, les chiens aboyaient, les étoiles brillaient au ciel. Au milieu de mes ennuis j’avais complètement oublié le phénomène, et je m’en veux. Nous eûmes une bonne réunion ensuite; je parlai sérieusement à nos garçons et les menaçai de me plaindre d’eux à Léwanika. Je sentis que cet argument-là était une balle perdue. Quoi qu’il en soit, ils promirent de mieux faire. La journée se termina mieux qu’elle n’avait commencé. 3i août. Quelle surprise ! Le messager que j’ai envoyé à Séchéké vendredi dernier est déjà de retour. En quatre jours et demi, ce n’est pas mal. Il nous a fallu deux semaines, à nous. Je lui donne joyeusement son setsiba, et me retire i . Pluriel de letsa, étang. à l’écart avec les précieuses missives qu’il m’apporte. Bonnes nouvelles des miens. Dieu soit loué ! Ma chère femme, qui a été malade toute une semaine après mon départ, va mieux, et essaie de se faire à son petit ménage de veuve. Les Jeanmairet vont leur train... Le nouveau Morantsiane promet d’être une écharde pour eux, et, comme le remarque ma femme, « il faudra à nos amis toute la grâce de Dieu pour savoir être fermes et bons tout à la fois. » Et quelles nouvelles de l’expédition du Dr Holub ! Pillée, complètement pillée par les ma-Ghoukoulomboué, non sans représailles sanglantes ; elle est de retour à Kazoungoula dans un état déplorable de maladie et de dénuement. Pas de calicot, pas de couvertures à leur envoyer, car j’ai tout pris. C’est notre bourse. Mais notre bonne « Dorcas », avec le concours de nos « enfants », a réussi à faire un bon paquet de robes, linge, savon, etc., pour venir en aide à M. et Mme Holub. Il y a dans cet échec certains détails que je ne m’explique pas bien. Mais la sympathie des gens de coeur ne fera pas défaut. Je puis bien me mettre à la place du Dr Holub, car nos ma-Totéla et nos ma-Ngnété ne valent pas mieux que les ma-Ghoukoulomboué, et ils nous feraient pis s’ils l’osaient. « Oh ! comme je pense à la bonté de Dieu, écrit ma femme à ce sujet. Il ne nous abandonne pas à nous-mêmes ; il nous guide par son conseil. Et quand les ténèbres nous environnent, si épaisses que nous ne savons vraiment pas si nous devons aller à droite ou à gauche, il nous dit: « C’est ici le chemin, marchez-y ! » Le contraste entre l’expédition Holub et la nôtre est tout un sermon pour moi. Je pense beaucoup à ce qui nous est arrivé chez Masonda, et je me dis combien il eût été facile pour nous, par la plus légère imprudence, de nous placer dans la position où se trouvent maintenant les Holub. » C’est parfaitement vrai. Rivière Séba, un des affluents du Njoko, a septembre. Nous avons travaillé, tous ces jours-ci, jusqu’à ce que la hache nous tombât des mains. Nous sommes tous noirs comme des charbonniers, et nous pouvons à peine nous regarder sans rire. Depuis que nous avons quitté Séchéké, le pays, bois et plaines, récemment brûlé, est tout couvert de cendres qui, soulevées par les boeufs, nous enveloppent d’un nuage épais. Nous respirons quand, de places en places, nous trouvons l’herbe de l’an passé épargnée par la conflagration générale. Nous n’avançons pas. C’est un grand travail que d’ouvrir un chemin à travers les fourrés, et puis il reste toujours ces sables d’Afrique que les boeufs labourent avec tant de peine. Quand arriverons-nous? Sera-t-il possible à ma femme de faire ce voyage cette année ? Mon Dieu !...
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