C’est avant-hier enfin que nos fourgons se sont mis en branle au milieu du concours bruyant de toute la population actuellement à Séchéké. Ils n’allèrent pas loin. Ils s’ensablèrent à deux kilomètres de la station. Le jeune Morant- siane, perché sur le cône d’une fourmilière, et escorté de gamins, prétendait que c’était lui qui nous enrayait ainsi, pour se venger de l’affront que je lui avais fait en lui refusant mon couteau de poche. Le lendemain, il m’envoya un message un peu plus poli. Il avait consulté les litaola, les osselets divinateurs, et l’oracle avait répondu que Sépopa, — un roi fameux qui a rétabli le pouvoir des ba-Rotsi après la chute des ma-Kololo, —pétait irrité contre moi, parce que je ne lui avais jamais encore rendu l’hommage qui lui est dû. Ce qu’il exige maintenant, c’est l’offrande d’un boeuf, d’une chèvre, d’un mouton, de calicot, etc., et alors, « il me donnera le chemin ». A la stupéfaction de mes amis séchékéens, je déchargeai tout bonnement une partie des bagages, que je ramenai à la station. Pendant que les wagons, ainsi allégés, continuaient leur route sans plus d’entrave, je restai pour passer la journée avec les miens. La maison était déjà-bien vide sans Middleton et Waddell; que sera-ce quand je serai définitivement parti, moi aussi? Cette journée-là avait des ailes ; quatre heures sonnèrent, nous nous jetâmes à genoux. Et puis, était-ce un rêve ? r— je me trouvai tout seul, chevauchant lentement avec un coeur gros. Mes regards se tournaient involontairement en arrière, et cherchaient encore à distinguer certaines formes, l’agitation d’un mouchoir... Mais non, c’est de la faiblesse. En avant! et, donnant de l’éperon, je m’enfonçai résolument dans le bois. Mon excellent bidet m’amena aux voitures grand train. Nous voyageâmes une grande partie de la nuit, et avant l’aube nous étions de nouveau en marche. Mais quelle ne fut pas ma stupeur, en découvrant ce matin que, malgré des réparations assez récentes, les deux roues de droite de mon wagon menaçaient de s’affaisser ! Les moyeux sont complètement pourris, on y enfonce une lame de canif comme dans du liège ; les rais y jouent du piston les uns après les autres. Pour ma consolation, on dit, on répète et l’on crie sur tous les tons autour de moi, que la voiture est condamnée, qu’elle s’effondrera pour sûr et n’arrivera jamais à la Vallée. J’aurais pu souffleter ces prophètes-là. Non seulement il faut que mon wagon me conduise à la Vallée, mais qu’il y amène aussi ma chère femme. Et alors, il aura bien mérité de la mission et de ses amis. Il est peu de wagons missionnaires qui aient tant roulé, peu qui aient donné tant de satisfaction à ses voyageurs. Dix ans de service par des pays sans routes, parmi les bois, les rochers et les sables brûlants, sans être jamais abrité des rayons d’un soleil tropical, des vents et de la pluie, c’est beaucoup. Comment le remplacer, notre bon vieux wagon, notre home de tant d’années dans le désert !... En attendant, réparons-le de notre mieux. Raccourcir la circonférence des roues, serrer la bande de fer et les rais avec des coins de bois, c’est le travail de quelques heures. Avec cet arrangement boiteux, nous continuons notre route, les regards inquiets souvent fixés sur les malheureuses roues. Mosüdli, 22 août. A 8o kilomètres seulement de Séchéké et toute une semaine de labeurs ! Mais, patience ! une fois en train, nous voyagerons mieux. Notre passage a fait sensation dans les villages de Rataou, de Katoukoura, Kouénane, etc., car ces pauvres gens n’ont jamais vu des boeufs soùs le joug, ni de maisons roulantes. Le 20, nous atteignions Loanja, dont nous avons tant entendu parler. C’est le grenier du pays. A certaines saisons, le Loanja est une rivière, un lac plutôt ; maintenant c’est un immense marais sur tout son cours, d’une largeur moyenne d’un kilomètre. Son vallon est d’une grande fertilité. On y cultive toutes les céréales de ces contrées. Pour le manioc et les patates, on fait sur les bords du marécage des plates-bandes entourées de profondes rigoles pour les drainer. Ce n’est pas facilement que nous parvenons à éviter ces fossés bourbeux, non plus que les pièges à gros gibier qui abondent à la lisière du bois. Heureusement que ces fosses ne sont pas garnies de pieux pointus, comme chez les ba-Nyaï. Quelle richesse que celle de ce pays entre les mains d’agriculteurs européens ! Parvenus aux confins des parages hantés par la tsetsè, nous demandons, au nom du roi, du secours et un guide à un petit chef qui se moque de nous. De nos prétendus guides, pas un ne connaît le chemin et n’a le pouvoir, dont nous le croyions investi, de nous procurer le secours en hommes dont nous avons besoin. Ils nous sont un tourment par les airs qu’ils se donnent. Moni- bothale est un tout petit chef de village, mais quand il parle de lui-même, ce qui est assez fréquent, il est un Ngouana-Moréna, un prince, un Khosi ë kana- kana, un si grand personnage ! Pourquoi les chefs de Séchéké ont-ils mis tant d’insistance à nous faire prendre cette route plutôt que celle que Léwanika a dû faire ouvrir du côté de chez Lékosi? Nos gens n’y voient qu’intérêt sordide et méchante ruse. Gomme nous devons maintenant voyager de nuit, Middleton et Waddell, avec deux indigènes, offrent de prendre les devants pour déblayer le chemin. Les trouvant trop peu nombreux pour un si grand travail, j’eus la malheu
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