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Ce squelette d’un long entretien de plusieurs heures vous donnera quelque idée de l’homme. Gomme tous les petits potentats d’Afrique, il a une idée singulièrement exagérée de sa dignité. Jamais l’homme ne m’a paru aussi avili qu’en sa présence. On lui attribue une puissance magique ; il peut se rendre invisible et invulnérable, assurer par certaines médecines à lui connues le succès de la chasse, etc. Et je l’ai entendu en plein lékhothla revendiquer ce singulier pouvoir. Il est religieux à sa manière, c’est-à-dire extraordinairement superstitieux. Il a près de son sérail « un bocage », entouré soigneusement de nattes, où il fait aux mânes de ses ancêtres ou au soleil des prières, des sacrifices et des libations. J’ai été témoin à Léalouyi de coutumes et de cérémonies étranges que je ne puis raconter. J’ai été frappé surtout de la fête de la nouvelle lune. C’est un jour de repos strict qu’on célèbre par des danses et des chants particuliers, auxquels tous les hommes sans distinction de rang et d’âge, prennent part, pendant que les femmes, à distance, les acclament de leurs cris stridents. On tue des boeufs qui se cuisent et se mangent sur la place publique, et on salue bruyamment le disque argenté dès qu’il montre sa silhouette. D’où leur viennent ces coutumes et tant d’autres ? Il y a là des questions intéressantes à étudier; mais il faudra de la patience et de la prudence. D’où viennent les ba-Rotsi? Eux disent de l’est. Ils ont remonté le Zam- bèze, vaincu les ba-Wéwé qu’ils ont trouvés dans ce pays et se sont fondus avec eux. Ce que je leur ai dit des ba-Nyaï les porte à croire que c’est bien là la souche de leur nation. Et, chose étrange, ils comprennent parfaitement mon petit vocabulaire de sé-Nyaï. De fait, c’est la même langue. Ils racontent qu’à leur arrivée dans cette contrée, un dieu épousa Bouya-Mamboa, et que cette femme a donné naissance aux rois des ba-Rotsi. Les tombeaux de ceux- ci et ceux des reines, dispersés dans tout le pays, sont au nombre d’environ vingt-cinq. Plusieurs sont ombragés de bosquets et entretenus avec le plus grand soin ; tous sont des lieux sacrés, des villes de refuge qu’on a respectées même pendant la révolution. Une autre ville de refuge non moins importante, c’est celle de la reine, aujourd’hui Nalolo. J’y ai rencontré un chef de Séchéké gravement compromis, que Mokouaé a gardé jusqu’à ce qu’elle eût obtenu sa grâce de Léwanika. A la capitale elle-même, la hutte de Gambella pour ses pairs, et l’enclos de la cour du roi, sont des refuges respectés. Mais c’est surtout au Natamoyo que l’on regarde en cas de danger. Ce na- tamoyo, un des principaux ministres, a la charge d’apaiser la colère du roi, d’y mettre un frein et de protéger ceux qui sont menacés d’en être les victimes. L’enceinte de sa maison, toujours à proximité du lékhothla, est sacrée. Quelqu’un est-il attaqué par les ordres du roi, poursuivi par une foule de ses émissaires, s’il peut mettre le pied dans la cour du natamoyo, il est sauvé. Aussi, lorsque le roi veut s’assurer la mort d’un homme, il prend ses mesures pour que le natamoyo n’en sache rien, et pour que l’individu n’échappe pas. Hélas! malgré toutes ces sages précautions, il est peu de pays qui soient plus souillés de sang humain. En m’asseyant au lékhothla, je passais en revue ces centaines d’hommes, je n’en retrouvais pas un seul de ceux dont j ’avais fait la connaissance l’an passé. « Ils ont été jetés en pâture aux vautours et leurs os blanchissent au soleil. » A peine trouvë-1>on parmi les chefs actuels une tête qui grisonne. On ne vieillit pas ici. On a commis sur les petits enfants et sur les femmes enceintes des atrocités que la plume se refuse à décrire. Les femmes qui ont échappé à ces hécatombes ont été partagées comme une partie du butin, et sont tombées au pouvoir des meurtriers de leurs maris. Mais elles paraissent s’en consoler facilement, car quelques-unes d’entre elles, passées ainsi de mains en mains, en sont à leur cinquième, sixième ou même leur dixième maître. C’est navrant. -HOh ! chers amis, si seulement vous aviez une idée du paganisme tel que nous le voyons ici !... Après nos conversations, Léwanika était curieux d’entendre la prédication publique de l’Evangile. Sur le conseil d’un chef qui avait été à Mangouato, et à l’exemple de Khama, Léwanika, dès le vendredi soir, fit proclamer par le crieur public que le lendemain chacun eût à se préparer, car le surlendemain était le jour du Seigneur, et personne ne pouvait ni moudre, ni aller aux champs, ni voyager, ni travailler. Le dimanche matin, il se rendit au lékhothla sans ses tambours, et rassembla ses gens à cri public. Ce fut un bel auditoire, sérieux et attentif. Je chantai et je prêchai comme à Nalolo, je me sentis soutenu et béni. Jamais de ma.vie je n’ai tant désiré avoir une bonne et forte voix. Il y avait, je vous assure, quelque chose d’électrisant et de profondément émouvant à parler du Sauveur et de Dieu à cette masse de païens. La lecture paraphrasée des dix commandements frappa Léwanika, mais je remarquai qu’il resta assis quand tout le monde s’agenouilla pour la prière. Quels que soient ses motifs, il a un grand désir de nous voir nous établir dans son pays. « Combien êtes-vous? me demandait-il. — Deux missionnaires et deux a i d e s C ’est tout? Mais comment pourrez-vous enseigner ma nation? » Il me montra le fils de Mokouaé, un tout jeune homme qu’il destine au poste de Morantsiane, à Séchéké. « Eh bien, ajouta-t-il, il faut que ton collègue reste à Séchéké pour instruire et diriger ce jeune homme. Il faudrait un autre moruti à Séoma, un autre à Nalolo, un autre à Libonta, etc. Quand donc en viendra-t-il pour vous aider? » Je souligne la question et la renvoie à vous, chers amis, et aux Églises du Lessouto. Il se montra plein de bonne volonté pour le choix d’un site, tellement qu’il voulait lui-même visiter avec moi les différents lieux qu’il croyait les plus propres à notre établissement. Il en fut empêché. Ce fut Gambella qui


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