belle hutte, spacieuse et entourée d’une autre cour, c’est son « cabinet » privé. Personne n’a le droit d’en approcher, excepté ses ministres, encore n’entrent-ils qu’avec sa permission expresse. C’est là que presque tous les jours, quand il ne venait pas chez moij je passais des heures avec lui. Je lui enseignais l’alphabet et nous causions. Permettez que je vous fasse assister à un de nos entretiens. Léwanika, content de ses progrès en lecture, riait de bon coeur et se roulait sur sa natte. Puis, devenant plus sérieux : — Je pensais venir te visiter aujourd’hui. J’ai toute sorte de choses à te demander : chandelles, café, médecines des yeux, médecines de la tête, etc. Wm- Inutile de venir chez moi pour cela. Je n’ai apporté que l’essentiel et je ne pourrais pas, si je le voulais, satisfaire à tes demandes. H E - Mais quand tu viendras en wagon, tu auras toutes tes richesses, n’est- ce pas? — J’aurai, j ’espère, ce dont nous avons besoin pour notre propre usage et quelques objets d’échange. — Et s’il me faut chemises, pantalons, chapeau, souliers, il faudra bien que tu me les procures, si j ’en ai besoin. — Non pas nécessairement, puisque je ne suis pas un marchand. Du reste, nos objets d’échange ne consistent guère qu’en verroterie et en calicot ; le reste n’est pas de notre ressort. — Comment ! tu n’apportes pas d’habillements? Que feras-tu quand les tiens seront usés? — J’ai ce qu’il me faut pour moi, rien de plus. ^ E - Est-ce à dire que, si j’ai besoin de vêtements, tu me donneras les tiens, puisque tu ne les vends pas ? Je lui dis que c’est à des marchands comme M. Westbeech qu’il devait s’adresser, puisqu’il leur vend son ivoire. — Mais, toi, reprit-il, qui te donne ces choses ? — Je les achète. — Avec quoi? — Avec de l’argent. (Il voulait voir de l’argent.) — Mais où prends-tu cet argent? Je lui expliquai de mon mieux que ce sont les «: croyants » de mon pays qui nous donnent du leur pour pourvoir à nos besoins. Il poussa une exclamation de surprise et garda quelque temps le silence. Puis il reprit : — Morouti ; tu as de l’âge ; donne-moi des conseils pour gouverner mon pays et affermir mon règne. — D’abord pose la sagaie et la laisse dormir (remets l’épée au fourreau), et renonce une fois pour toutes à la vengeance. Applique-toi à gagner la confiance de ton peuple, et à inspirer aux plus petits un sentiment de parfaite sécurité. — Punis le vol. — Et surtout accepte l’Evangile pour toi-même et pour la nation, etc. — Quelle est la richesse d’un pays ? La mienne, c’est l’ivoire. Mais l’ivoire diminue tous les ans et, quand les éléphants seront exterminés de la contrée, que ferai-je? Je pensais au grand mot de Colbert. Mais l’industrie ici, au point de vue commercial, est nulle. Je lui montrai la fertilité de son pays, et que si les chefs voulaient s’adonner à la culture du coton, du tabac, du café, de la canne à sucre, etc., ils trouveraient bientôt que ce serait là pour eux une source de richesse inépuisable. Il me fit alors des questions sur Lobengoula : A-t-il des missionnaires ? Y a-t-il des croyants dans son pays? Lui-même est-il croyant comme Khama? Pourquoi n’est-il pas chrétien ? E Puis, faisant évidemment allusion aux intentions d’invasion que l’on prête à Khama et à ses propres razzias chez les mâ-Choukouloumboué : — Est-ce que Khama, dit-il, qui est un roi chrétien, fait encore la guerre et peut envahir un pays qui n’est pas le sien? — Je ne pourrais en répondre, car Khama est homme, et puis il ne gouverne pas seul, — le conseil de la tribu est là. — Mais, est-ce mal de faire la guerre? — Pour défendre son pays, non. — Et si je me trouvais engagé dans une entreprise guerrière, m’accompagnerais tu ? — Non. Notre mission est une mission de paix. |BE- T u me prêterais du moins tes fusils et me donnerais tes munitions ? — Non; ce serait encore participer à la guerre. — Comment, et tu vis dans mon pays, tu es mon père ! Et si tu t’étais trouvé ici quand Mathaha s’est révolté contre moi, qu’aurais-tu fait ? En entendant les coups de fusil, ne serais-tu pas accouru pour prendre ma défense? Et si je t’avais envoyé demander tes armes et tes munitions, me les aurais-tu refusées? — Oui ; mais j ’eusse prié pour toi. — Et en attendant, dit-il en riant aux éclats, Mathaha m’aurait tué. Beau secours, que celui-là. Et si je m’étais sauvé chez toi, qu’aurais-tu fait? — Je t’eusse reçu dans ma maison, je t’eusse donné de la nourriture et des vêterhents, et, à défaut de serviteur, j ’eusse moi-même fait ton feu. — Ça, c’est bien. Mais si les gens de Mathaha m’avaient poursuivi et t’avaient dit : Livre-nous Léwanika, que nous le tuions ? — Je me fusse tenu à la porte et leur eusse dit : Ceci est une ville de refuge ; si vous voulez la violer, vous me tuerez d’abord. — Ça, c’est admirable.
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