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I 0 2 SUR LE HAUT-ZAMBÈZE. de bêtes sauvages et d’étoffes aux vives couleurs flottant sur leurs épaules. A l’arrière, se trouvait le canot portant d’énormes tambours et des grosses caisses, que des hommes battaient furiéusement. On ne bat jamais les caisses qu’en temps de guerre, et pour une occasion comme celle-ci. Le bruit en est étourdissant et s’entend de très loin. Nous suivîmes quelque temps le cortège royal, puis, pendant qu’il se dirigeait vers d’autres tombeaux, nous tirâmes sur Léalouyi, où nous arrivâmes vers les cinq heures. L’arrivée du roi, plus tard dans la soirée, mit toute la ville en émoi ; mais j ’étais trop fatigué pour sortir de ma hutte. La réception officielle eut lieu le lendemain matin au lékhothla. M. West- beech était là. Le roi fit placer nos chaises de chaque côté de la sienne. Gam- bella et ses principaux ministres étaient agenouillés devant lui. La cérémonie fut des plus simples. Léwanika écouta patiemment tout ce que j ’avais à dire sur le but de notre mission, nos délais, nos pertes, etc. A son tour il m’exprima la joie qu’il avait de me voir enfin chez lui après m’avoir attendu si longtemps, son mécontentement des délais qu’on nous avait fait inutilement subir, son indignation au sujet des vols... Il me dit sa reconnaissance des bontés que nous avions eues envers certains membres de sa famille et quelques-uns de ses partisans dans le malheur. Il me présenta avec une visible satisfaction ceux des chefs et même de ses serviteurs qui l’avaient accompagné dans l’exil, et puis me raconta avec entraînement, presque avec passion, sa fuite, son exil, l’hospitalité de Libébé, sa première rencontre avec ceux de ses partisans qui l’avaient cherché, ses batailles et ses victoires, la défiance invincible qu’il a conçue, même de ses propres partisans, et la vengeance qui lui ronge le coeur. II me raconta aussi la visite de Morémi, le chef des ba-Tawana, du lac Ngami. Morémi est l’ami de Léwanika. Depuis longtemps, ils échangeaient des ambassades et des présents quand la révolution éclata. Plus tard, lorsque Morémi apprit que Léwanika voulait rentrer dans son royaume, il se hâta de venir en personne lui porter secours. Il arriva trop tard. Léwanika avait déjà vaincu ses ennemis. La visite du fils de Letsoulathébé eut donc un caractère purement pacifique. Ce n’est pas qu’à la tête d’une forte troupe d’une centaine de cavaliers bien armés il n’inquiétât passablement les ba-Rotsi. Un jour, il se joua une petite comédie qui risqua d’avoir un dénouement tragique. Un grand pitso eut lieu. Morémi et ses gens étaient d’un côté, Léwanika et ses ba-Rotsi de l’autre. Morémi, se prévalant de la grande liberté de parole qu’ont les bé- Tchouana dans leurs pitsos, se mit à tancer vertement les ba-Rotsi sur leurs propensions révolutionnaires; puis, s’avançant vers Léwanika, il lui dit: « Tu es mon frère et mon ami, ces gens-là te tueront un jour ; lève-toi, prends ton fusil et viens avec moi ! » Léwanika se lève et prend son fusil. Les ba-Rotsi s’émeuvent, protestent de leur attachement à leur roi. Morémi, renchérissant sur son discours, fait une nouvelle tentative pour enlever Léwanika ; nouvelle démonstration. A la troisième fois, les ba-Rotsi, piqués au vif, courent aux armes, cernent les ba-Tawana, les accablent d’injures, et le sang eût certainement coulé sans l’intervention de Léwanika lui-même. Pendant que nous y sommes, disons un mot du lékhothla, qui diffère essentiellement de celui des ba-Souto et des bé-Tchouana, tant parle cérémonial que par la manière d’y traiter les affaires. La liberté de discussion n’existe pas ici, et, au lékhothla comme ailleurs, le potentat de la Vallée peut dire, lui aussi : « L’Etat c’est moi. » — Dès les 7 heures du matin et à 3 heures de l’après-midi, le roi, suivi de tambours, de sérimbas, de ses serviteurs, quelquefois aussi de ses ministres, se rend en procession sur la place, où il s’assied à l’ombre. Il est généralement vêtu d’une longue chemise de coton rouge à grands dessins, qui lui descend aux talons, avec le bonnet de laine bariolée si cher aux ba-Rotsi. L’étiquette veut, paraît-il, qu’il change fréquemment d’habillements, mais sa garde-robe est au minimum, et comme il n’a pas d’ivoire, il est dans la pauvreté. Le peu de vêtements européens qu’il a pu se procurer, il les a distribués à ses ministres et aux mokoué tounga (les maris de ses soeurs), et c’est à la générosité de Morémi qu’il devait l’habillement blanc de serge, la chemise blanche, les souliers et le chapeau qu’il avait mis en mon honneur... Dès que les tambours se font entendre, tous les hommes accourent au lékhothla et s’asseyent à une distance du roi qui varie selon leurs rangs. Ceux qui viennent de loin accomplissent toutes les cérémonies serviles du chouaéléla, comme notre Mokoumoa-Koumoa, puis viennent en file et en s’agenouillant déposent une offrande aux pieds de Sa Majesté, une peau de loutre, un coquillage très estimé du nom de mandé ou même un simple collier de perles. — Mais l’offrande est de rigueur, et pendant qu’ils recommencent à chouaéléla, un des officiers s’écrie : Pouma noko ! Le roi est satisfait ! — Et moi je pensais à cette parole de Dieu à Moïse que nous, chrétiens, laissons dans l’oubli : « Nul ne se présentera à vide devant ma face. » Le roi, lui, paraît étranger à tout cela, il ne répond à aucune salutation : il donne ses ordres, il envoie ses messagers, il distribue son travail; il écoute les cas que lui soumettent ses ministres et rend des arrêts. S’il mande quelqu’un, il se contente de prononcer son nom, et aussitôt quatre, cinq, six hommes se lèvent et crient ce nom dans toutes les directions. Ceux qui les entendent répètent le nom jusqu’à ce qu’il retentisse dans tout le village. Il règne au lékhothla, près de la personne du roi, une très grande animation. Dans l’intervalle des séances, il se retire chez lui. Sur un des côtés de la place publique se trouve un vaste enclos, circulaire naturellement. C’est son harem. Les huttes de ses femmes sont rangées le long de la paroi intérieure de l’enclos, et séparées par des cours de roseaux. Au milieu se trouve une HAUT-ZAMBÈZE. 2 5


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