un des affluents du Linyanti, où son frère la rejoignit plus tard. Elle poursuivit son récit, palpitant d’intérêt, jusqu’à la grande victoire de Léalouyi, qui a affermi le pouvoir de Léwanika. Elle le termina en s’écriant, avec de gros éclats de rire : « Mathaha et sa clique, nous les avons exterminés, et leurs os blanchissent au soleil I Et l’impertinence de quelques-uns de ces sorciers d’oser demander grâce ! Grâce 1 Ah bien, oui ! Nous les avons jetés en pâture aux vautours ! Voilà notre grâce, à nous ! » — Ces éclats de rire, ces accents d’exaltation, cette vengeance insatiable, qui s’affichaient, me donnaient le frisson. J’avais les yeux rivés sur cette femme. Je l’écoutais et je rêvais. Je la connaissais déjà. Il y a un peu plus de deux ans, son premier ministre, du nom de Pakalita, lui portait ombrage. Un jour qu’elle donnait aux gens de sa ville un régal de yoala, elle fît appeler Pakalita dans sa maison privée, causa quelque temps avec lui, lui présenta un pot et le laissa seul avec une bande d’hommes qui devaient le massacrer. Mais, en présence de ce vieillard vénérable et généralement respecté, les esclaves étaient intimidés. Elle attendit longtemps dans la cour l’exécution de ses ordres. Impatiente, elle rentre enfin : « Gomment, s’écria-t-elle, on vous donne des ordres et c’est ainsi que vous les exécutez? Saisissez-le! » Puis, s’armant d’un vieux sabre portugais, elle trancha elle-même et d’un seul coup la tête du vieillard. Elle fit jeter le cadavre dans une cour voisine et alla s’asseoir au lékhothla comme d’habitude. Vers le soir, le crieur public se faisait entendre : « Hè! Hè ! La reine vous fait savoir qu’elle s’est arraché une mauvaise épine du pied ! » — On comprit; la sensation fut grande. Ce fut une des causes de la révolution. -— Mokouaé a pourtant ses partisans'et ses admirateurs. Elle nous reçut avec cordialité ; le soir, elle nous envoyait le boeuf de bienvenue, gros et gras. Le lendemain, une grande assemblée se réunissait au lékhothla pour écouter la prédication de l’Evangile. On était étonné, sérieux et attentif. Je me sentis soutenu et béni. Je chantai et prêchai sans fatigue. Mokouaé, ensuite, m’invita à l’accompagner chez elle. Dans la cour, quelle ne fut pas ma surprise de la voir se dépouiller de sa robe d’indienne devant trois ou quatre marchands bihénais. Ces messieurs étaient évidemment des tailleurs. L’un examinait les manches, l’autre lui pinçait les épaules, un troisième lui ajustait la taille. « Et pourvu, me disai-je, qu’on n’aille pas demander mon •avis ! » Pendant cette scène, je ne savais trop que faire de mes yeux. Je me sentis soulagé quand je me trouvai seul avec Mokouaé. Elle m’invita dans sa maison, spacieuse et d’une propreté admirable. Pendant que des jeunes filles faisaient leur service, je m’assis sur un rouleau de nattes, en face de la reine. Celle-ci me passa un vieil accordéon à la voix fêlée. « Allons, fit-elle, joue- moi donc quelque chose ! » J’en tirai volontiers un air, puis un second, puis
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