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nous ont ordonné de prendre Matomé pour nous piloter. Malheureusement, Matomé est absent. Que faire? » Le lendemain, à défaut de Matomé, deux de ses fils nous servirent de guides. Ils étaient assis dans un tout petit canot, que le courant, quand nous passions d’une rive à l’autre, emportait comme une coquille. Aux environs du confluent de la rivière Loumbè, ils ralentirent leur course, puis, s’arrêtant et nous montrant au rivage opposé un grand banc de sable, ils nous dirent à voix basse : « C’est là qu’il est ! » Je voulus faire une question : « Chut ! on ne parle pas de lui quand on est sur l’eau. » Je demandai plus tard si eux avaient jamais vu le monstre, cc Vu? non. ,11 n’est connu que du roi seul et des grands personnages du royaume. Eux possèdent un spécifique dont ils gardent le secret. L’bydre attaque-t-elle un de leurs canots, le maître aussitôt de lui faire l’offrande de sa ceinture. L’on voit alors le canot et son équipage vomis et lancés jusqu’au rivage comme une flèche. » M. Westbeech, qui m’avait devancé à la Vallée, me reconta que son canot, un jour, échoua sur un banc de sable mouvant. Chaque coup de rame faisait bouillonner l’eau d’une manière extraordinaire, mais ne dégageait pas la pirogue. Tous ses gens étaient paralysés de terreur. M. "Westbeech prit la pagaie et parvint, non sans peine, à remettre la barque à flot. Ses canotiers commencèrent alors à respirer. Et il fallait les entendre raconter l’aventure ! On ne se lasse pas d’admirer la région des rapides, que je vous décrivais l’an passé. On dirait que le fleuve, fatigué de ses sauts et de ses luttes parmi les rochers, se prépare à de nouveaux combats, en coulant limpidement entre ses rivages verdoyants. La végétation arborescente, qui n’a rien de tropical, est cependant relevée ici et là par des dattiers sauvages, portant des fruits dont les indigènes sont très friands. Ce sont là aussi les parages hantés par les éléphants, les buffles, etc. C’est le paradis des chasseurs. Souvent, sur un petit coup de sifflet, nous poussions nos barques dans les roseaux, et en mettant pied à terre avec précaution, nous pouvions voir des troupeaux de buffles et d’antilopes, qui, au moindre bruit, partaient au galop. J’y ai aussi trouvé plus de villages que l’an passé, ce qui ne veut pas dire que le pays soit peuplé. La nouvelle de mon passage s’était ébruitée, aussi les pauvres ma-Khalaka, au lieu de s’enfuir et de se cacher comme de coutume, étaient tout heureux de venir causer avec nous. Un jour, nous rencontrons trois petits canots. C’était le maître d’un village qui s’en allait rendre hommage à ses nouveaux chefs. Le digne homme voulut immédiatement rebrousser chemin pour aller nous préparer des provisions de route. Il fallait nécessairement coucher chez lui, ce qui dérangeait tous mes plans. Mais je n’eus pas lieu de le regretter, car, outre l’accueil que ce brave homme nous fit, ce fut une occasion de plus pour parler de l’Evangile. Le lendemain, un autre chef mo-Khalaka m’attendait, lui aussi, au port de son village, avec un plat de citrouille, et me pressait de passer la journée chez lui. Je dus refuser. « Dans ce cas, pourquoi n’êtes- vous pas venu passer la nuit chez Matokoméla (son nom) ? Croyez-vous que je ne sache pas, moi aussi, recevoir les voyageurs? » Gardons-nous bien de généraliser des faits pareils, ou de leur donner une importance qu’ils n’ont pas. Ces pauvres gens n’ont aucune idée de l’Evangile, mais ils ont le sentiment que ceux qui le prêchent sont des hommes de paix et les protecteurs des malheureux. C’est là le secret de leur hospitalité. A Séoma, nous rencontrâmes deux grands canots et des hommes que le roi, impatient, envoyait pour nous chercher. Dans la nuit, un de mes bateaux, restés en aval des chutes, fut emporté par le courant. Au culte de famille, je demandai à Dieu de nous le rendre. « C’est bien inutile que tu tourmentes Dieu pour cela, me dirent les ma-Soubiya; le Zambèze d’ici ne badine pas. Jamais on ne retrouve les embarcations qu’il emporte. » Je pris un des bateaux du roi et nous poursuivîmes notre route. Nous arrivâmes en deux jours à Sénanga, l’entrée de la Vallée. L’inondation, quoique très en retard cette année, était telle cependant, que nous quittâmes la rivière et tirâmes en droite (!) ligne sur Nalolo, à travers la plaine. Nous nous trouvâmes bientôt engagés dans des massifs de roseaux, des jungles inextricables, où nous étions ensevelis tout debout, et d’où nous ne sortions qu’avec force égratignures. Où l’herbe et les joncs étaient plus courts, chaque coup de pagaie faisait tourbillonner des nuées de moustiques, de moucherons et d’insectes de toute espèce, qui vous pénétraient dans les yeux, dans les oreilles, dans les narines. Une vraie plaie d’Egypte. Il y avait aussi des. poissons qui prenaient leurs ébats, des tortues d’eau qui exploraient leurs nouveaux domaines, et de temps à autre un serpent qui nageait et essayait invariablement de sauter dans nos barques. Tout cela causait un peu d’excitation parmi nous et brisait la monotomie du voyage. Le soleil était ardent. Rester assis, c’est-à-dire accroupi dans le canot, c’était se condamner à suffoquer. Je me tins donc debout, au risque de faire un plongeon. Pas un village, pas un hameau en vue ; devant, derrière, à droite et à gauche, rien que la plaine avec des roseaux, des joncs et l’eau qui, de place en place, avait pris le dessus et reflétait le soleil comme une glace. Rien de plus mélancolique que ce trajet. De temps en temps, cependant, nous débouchions comme par surprise sur un étang. Un vrai jardin, que Dieu fait fleurir dans ces solitudes, sans doute pour l’admiration de ses anges. La nappe d’eau était invariablement couverte de nénuphars bleus, roses et blanc de neige. Il y en avait de jaunes et même de verts. Quelques-uns étaient gros et doubles comme des roses, d’autres étalaient coquettement sur le tapis vert de leurs feuilles


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