joie et de la reconnaissance. Léchoma, c’était notre prison de Gésarée, à nous. Maintenant, nous avons traversé le Zambèze, nous sommes parmi les tribus zambéziennes, nous sommes à l’oeuvre. Nos évangélistes, eux aussi, à Mambova, près du confluent du Zambèze et du Linyanti, sont à la tâche. Aaron nous écrivait dernièrement que la prière publique et la prédication du dimanche sont bien suivies. Ils ont même essayé d’organiser une école journalière et ont de l’encouragement. Sécliéké, 1« janvier 1886. L’autre jour, j ’écrivais de Léchoma, où j ’étais allé réparer notre logis et expédier notre wagon qui va à Prétoria. Je suis rentré après dix jours d’absence, après un trajet aventureux. J’ai eu la joie de trouver mes bien-aimés en bonne santé. Notre horizon politique qui, à notre départ, semblait s’éclaircir, s’est tout à coup de nouveau assombri. Le calme précédait la tempête. Les messages réitérés du roi nous assuraient qu’il avait proclamé une amnistie générale et regrettait les massacres qui avaient eu lieu. Il avait, à plusieurs reprises, envoyé de gracieux messages au chef Morantsiane, que sa parenté avec Mathaha, le chef de la révolution, avait compromis ; il lui mandait de rentrer à Séchéké, d’y labourer ses champs et d’y vivre en paix. La soeur de Robosi, Khosi éa mosali, la reine, pour consolider l’alliance des deux partis, avait déclaré vouloir épouser Morantsiane et venir s’établir à Séchéké. La paix était apparemment rétablie. On en était venu à se visiter d’un camp à l’autre; les chefs échangeaient du tabac; on moulait du blé, on préparait vigoureusement les canots et les provisions de route, et dès que la lune deviendrait obscure (pour arriver avec la nouvelle), tous les chefs devaient partir ensemble pour aller rendre hommage au roi. Partout ce n’était que vie et entrain. Les chefs, Rataou et autres, avaient quitté l’île et étaient rentrés chez eux avec femmes, enfants et bétail. Les alertes avaient donc pris fin, nous commencions à respirer. Pendant mon absence, un messager de Robosi vint, avec une suite nombreuse, s’établir sur la station, déclarant qu’ayant charge de me conduire à la capitale, il attendrait patiemment mon retour. Le croiriez-vous? tout cela n’était que pour cacher un complot. Dès que la lune commença en effet à s’obscurcir, dans la nuit du 26 au 27 décembre, les chefs du parti de Robosi avaient massé leurs gens dans les bois; ils tombèrent sur le village de Morantsiane, qui avait débandé ses guerriers, sur celui de Nalichoua et d’autres, et s’y livrèrent à coeur joie au carnage et au pillage. Morantsiane s’ouvrit un chemin à travers les esclaves qui le cernaient, et, échappant à la vue des chefs ba-Rotsi, il parvint à gagner les bois. Mais on a saisi tous les canots de la rivière, on garde soigneusement tous les gués, et on a lancé sur les traces de l’infortuné chef des troupes de jeunes gens qui vont le traquer comme une bête fauve. Ne se trouvera-t-il pas une âme compatissante qui sauve la vie à ce pauvre fugitif qui n’a plus ni feu ni lieu? Mathaha, paraît-il, a commis, non seulement sur les partisans de Robosi, mais sur ses femmes et sur ses enfants, des atrocités que la plume se refuse à décrire. Robosi a juré de se venger et de n’épargner ni la position, ni l’âge, ni le sexe de quiconque appartient à la famille de Mathaha. La terreur est au comble parmi l’aristocratie du pays. Les esclaves, eux, jubilent : ils n’ont qu’à changer de maîtres, et ils se pressent à la suite des « vainqueurs », comme on les appelle, et veulent avoir leur part de meurtre et de pillage. Les jeunes gens à notre service — excepté Ngouana-Ngombé et Kambourou -Jgjn’ont pu résister à l’entraînement général et sont partis. Le pays est dans une affreuse confusion. Nous ne savons où s’arrêteront les massacres, ni ce qui sortira de ce chaos. Quand on vit parmi de telles gens, dont les pieds sont si légers pour répandre le sang, on sent sa dépendance vis-à- vis de Dieu. Nous faisons ces temps-ci des expériences dures et humiliantes. Les chefs, en général, sont aimables avec nous, et plusieurs se vantent de notre amitié. Mais nous sommes entièrement à la merci de leurs esclaves. Ils peuvent nous tromper, nous insulter, nous voler, tout faire sans qu’aucune autorité s’émeuve pour nous faire justice et nous protéger. C’est peut-être le point le plus noir de notre vie au Zambèze. Mais voilà, « celui qui habite dans la retraite secrète du Souverain est logé à l’ombre du Tout-Puissant ». L’individu qui est venu me chercher de la part du roi est aussi celui qui était chargé de le délivrer de ceux qu’il appelle ses ennemis. Les pluies ont commencé de bonne heure cette année, la rivière monte, les parties basses du pays sont déjà submergées et le canotage devient de plus en plus difficile et dangereux. D’un autre côté, Middleton est en route pour Prétoria (ceci le rejoindra à Léchoma), et il est douteux qu’Aaron puisse m’accompagner cette fois. Les mêmes raisons de prudence que l’an passé retiendront encore Jean- mairet ici. Il me faudra donc aller seul avec ce chef mo-Rotsi quand il aura accompli sa mission sanguinaire. Dieu me gardera. Qu’il amollisse le coeur de Robosi. Tout ce qu’on raconte de lui nous fait l’impression que c’est un homme intelligent, généreux à l’occasion, mais aussi un tyran vindicatif, ombrageux, et, hélas 1 altéré de sang. Il est absolument nécessaire que je le voie avant de nous mettre définitivement en route pour la Vallée. Malgré tous les messages pleins d’amabilité qu’il nous a envoyés depuis qu’il est de nouveau au pouvoir, nous prévoyons bien que notre position auprès de lui ne sera pas précisément un lit de roses. Mais soyez sans inquiétude à notre égard.
27f 90-2
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