Aujourd’hui c’est notre intrépide jeune frère M. Arnot qui vient à son tour de quitter définitivement le pays des ba-Rotsi, pour visiter d’autres tribus plus au nord. Tous ces échecs ne sont pas précisément de bon augure pour nous. Nous ne prétendons pas à plus de dévouement, ni à plus de sagesse que nos devanciers; nous n’avons pas eh hommes et en fonds de bien grandes ressources. C’est vrai. Que Dieu nous donne d’autant plus Vaudace de la fo i ! Nous en avons besoin. . . . Quant à nous, nous sommes à Séchéké depuis près de trois mois. Si nous avions eu des boeufs de trait, Aaron et sa famille ne seraient pas restés à Mambova, ni nous ici. Nous serions depuis longtemps à la Vallée, y travaillant activement à là fondation de notre établissement, et la mission occuperait déjà, au lieu de deux, quatre postes importants. Dieu sait combien nous soupirons après une vie plus sédentaire et une oeuvre plus régulière. La vie de bohémiens que nous menons depuis deux ans dessèche singulièrement l’esprit et le coeur. On a de la peine à s’ÿ faire. Il vous souvient que plusieurs chefs étaient venus présider à notre passage de la rivière. L’alerte qui les dispersa subitement n’était pas, après tout, sans fondement. Une contre-révolution avait éclaté à la Vallée. On s était battu. Robosi, qui s’était réfugié et avait établi son quartier général dans un îlot de la Machi, un des affluents du Linyanti, rentrait à la capitale et s emparait du pouvoir. Akoufouna, impopulaire, surpris et délaissé, prenait la fuite. Mathaha, le gambella de la révolution, choisit alors Sékoufélé, le chef de Lékhoakhoa et le principal représentant de cette branche d é 4i famille royale. Celui-ci, croyant le parti de Léwanika complètement écrasé, venait tranquillement prendre possession de la capitale, quand Léwanika, arrivé de la veille à la tête d’une forte armée, fondit sur lui. La bataille, qui a duré tout un jour avec des alternatives diverses, a été des plus sanglantes. Presque tous les chefs des deux partis ont péri, Séroumba, Mathaha, etc. Une troupe de marchands noirs venus du Bihé ou de la côte, des ma-Mbari comme on les appelle, se sont jetés dans la mêlée, et ont assuré à Robosi une victoire décisive. Mais le carnage, même pour des gens habitués à répandre le sang, a été épouvantable. Faut-il après cela s’attendre à de nouveaux massacres ? On le craint. Il sied à la royauté d’être vindicative et sanguinaire; l’opinion publique, paralysée par la terreur, ne proteste pas. Comment expliquer que tant de tribus, qui gémissent sous le joug des ba- Rotsi, ne profitent pas de circonstances pareilles pour gagner leur indépendance ? Elles se livrent bien au pillage, et à des actes de vengeance et de cruauté; mais c’est tout. Rien ne prouve mieux tout ce que l’esclavage a d’avilissant. oz l u z ru 1 Ces commotions politiques ont eu leur contre-coup à Séchéké. Dès les premières rumeurs du retour de Robosi, les chefs se sont divisés en deux camps. Les esprits s’échauffant, sfe passionnant, aiguillonnés par des jalousies et des griefs personnels, une petite guerre civile était devenue imminente. Soit peur et méfiance les uns des autres, soit aussi le besoin de mûrir dans l’ombre des plans d’attaque ou de défense, il y eut une débâcle générale. Les uns se réfugièrent dans leurs villages respectifs, où à la faveur des bois ils pouvaient au besoin opérer leur retraite avec plus de sécurité, traverser la rivière et quitter le pays; les autres se massèrent dans les îles du fleuve, que l’on considère comme des forteresses naturelles. Toute communication fut interrompue, et alors commença un système d’espionnage, de tracasseries, de fausses rumeurs et de paniques que l’on ne connaît qu en Afrique. Notre frère Jeanmairet, qui nous avait devancés à Séchéké, a été témoin de cette débandade. Il lui fallait du courage pour rester tout seul avec Séajika, dans un endroit déserté, et avec des bagages qui invitaient au pillage. Car les coquins et les vagabonds qui foisonnent ici en temps ordinaire, ne manquent pas d’audace en des temps pareils, vous pouvez le croire. Mais Dieu a veillé sur notre ami, sur cette petite tente solitaire et sur les bagages sans protection aucune qui l’entouraient. Notre arrivée ne changea rien à cet état de choses. Les chefs nous mon- traient beaucoup de déférence, ils envoyaient régulièrement demander de nos nouvelles, venaient, eux, avec quelques présents pour souhaiter la bienvenue et nous visiter. Nous aussi, nous allions les voir à leurs camps respectifs ; ils écoutaient respectueusement nos conseils. Mais tous nos efforts pour amener une réconciliation avortèrent. « Vos intentions sont bonnes, répondait-on, vous êtes les serviteurs de Dieu, des hommes de paix, vous avez vu des nations où règne la justice. Mais vous ne nous connaissez pas encore, nous, ba-Rotsi. Nous sommes des hommes de sang, nous nous massacrons tout en buvant, causant et riant ensemble. » Hélas ! ce n’est que trop vrai. ' C’est pourtant quelque chose, si, comme on nous l’assure, notre présence ici a empêché les deux partis d’en venir aux mains et de s’entre-tuer. — La station — car station nous avons maintenant — est un terrain neutre, une ville de refuge. Les uns et les autres ont le sentiment qu’ici on n’oserait tuer personne. Quand les chefs des deux partis se rencontrent, ce n’est pas au village situé à un jet de pierre, ni dans leurs propres maisons, qu’ils vont; ils préfèrent s’arrêter ici même et s’y construire des abris s’ils doivent passer la nuit. A les voir assis ensemble à l’ombre d’un gros arbre, sans armes si ce n’est un bâton qui dans leurs mains est une arme formidable prisant, causant ensemble, se claquant mutuellement les mains, se prodiguant les « changoué s> d’usage, et toutes les démonstrations possibles de politesse, vous croiriez que ce sont les gens les plus inoffensifs et les amis les plus
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