raonie que nous avons essayé de leur expliquer, et quelles impressions en ont-ils recueillies? Je l’ignore. Pour nous, elle était solennelle. Mais plus solennel encore fut le repas sacré qu’une fois de plus et pour la première fois en public nous partagions ensemble... Dieu était là. Enfin le jour du départ arriva. C’était le vendredi i 4- Nous avions déjà envoyé au gué de Kazoungoula deux petites charges de bagages. On entassé ce qui reste dans le wagon de famille et une voiture de transport ; deux jougs empruntés à, nos attelages vont traîner le tombereau transformé en une vraie arche de Noé : petits chiens, chats, poules, canards, cochons, tout y a place. C’est un charivari qui aurait amusé les gens de loisir. Le soleil a disparu à l’horizon, le temps presse, car la mouche .tsetsé hante encore les bois sans routes que nous devons traverser. Une fois les gros wagons attelés, on pense au tombereau. Ce sera l’affaire d’un instant... Nos Zambéziens, qui ont peur des boeufs, se sont cachés, et ce n’est pas sans peine que nous les remettons à leur poste. Mais on a beau chercher, on ne trouve que trois boeufs : le quatrième s’était avisé de se jeter dans une fosse que nous avions faite pour scier de long. Nous en abattons les bords, nous soulevons la bête, on lui mord la queue, on la tire par les cornes, rien n’y fait. Elle ne se prête à aucun de nos efforts. Force nous est d’abandonner la partie et de laisser le tombereau pour un autre voyage. Il est huit heures et demie, quand les voitures se mettent en branle, et pas de clair de lune. — « Ho ! Ho ! » — Qu’est-il donc déjà arrivé ? Mon wagon s’est jeté contre un pieu qui supportait mon pluviomètre et ce coquin de pieu a fracassé un marchepied que nous avions arrangé pour ma femme. Après cela nous roulons précipitamment au pied du coteau. Nous sommes en route. Patience! Derrière nous retentit le cri d’alarme. Boeufs et wagons, nous crie- t-on, se sont précipités dans le parc aux cochons ! Pauvre Esaïe ! il est loin d’être passé maître au métier de conducteur. A une-heure et demie du matin, nous n’étions encore qu’à mi-chemin. J’aurais voulu faire la contre-partie du miracle de Josué, car nous étions en pleine région infestée par la mouche. Nous eûmes bien des incidents risibles dans ce court trajet. Ce qui n’empêche pas que nous arrivâmes épuisés et transis de froid, à quatre heures, au gué de Kazoungoula. Voilà un bout de chemin qui compte. Heureusement que, dans peu de temps, la tsetsé aura complètement disparu et que l’on pourra faire le trajet en plein jour. Le chemin est ouvert, et il est bon, grâce à nos haches et à nos bêches. Les marchands ont fait tout ce qu’ils ont pu pour nous faire prendre une autre destination. Ils sentent que le monopole du commerce risque de leur échapper, et l’un d’eux parle déjà de venir s’établir ici. Du reste, je dois le dire, MM. Westbeech et Blockley se sont montrés obligeants. Mokoumba, Rataou et d’autres chefs inférieurs arrivèrent bientôt avec une multitude de gens. Notre première entrevue me convainquit bientôt que c’était leur intention de nous tondre sans pitié. Nous convînmes de donner tout le travail à soixante-dix hommes pour autant de setsiba. Mais, après deux jours de quelques heures de travail, ils réclamèrent leur paiement. Ce fut une grève générale et force nous fut d’accepter un compromis. Prévoyant le retour de pareils ennuis, nous engageâmes un nombre d’hommes plus restreint, que releva une autre bande, et dès lors tout se fit avec ordre et entrain, si bien que nous pûmes même jouir de la nouveauté et de l’étrangeté des scènes animées qui se renouvelaient à chaque instant. C’était intéressant de voir les canots se croiser, chargés de nos colis, transportant nos chèvres, faisant nager chaque boeuf en lui soutenant la tête hors de 1 eau par les cornes ; mais plus imposant encore de voir les tentes de nos wagons avec les planchers qui faisaient radeaux, flotter entre les canots zambéziens à la remorque de notre bateau. Le passage s’est effectué jusqu’ici sans le moindre accident. Mais il n’a pas duré moins de huit jours, car le vent s’en est mêlé, et quand le vent souffle, que la rivière se courrouce et que les vagues s’amoncellent et écument, aucune pirogue n’oserait s’aventurer à prendre le large. C’est vendredi dernier, le a i, que nous avons tous traversé, excepté les évangélistes et leurs familles. Nous prenions notre repas du soir dans un abri ouvert à tous les vents, quand les chefs soulevèrent la natte qui nous sert de porte et se blottirent près de nous parmi nos ballots. Ils nous apportaient des nouvelles. Elles n’étaient pas bonnes. D’abord Rataou m annonçait qu’un de ses villages était brûlé, et, chose étrange, c’était le village et la hutte même où avaient été déposés les bagages que j ’ai apportés pour M. Arnot. Ils sont détruits, mais c’est là le moindre des soucis de l’ami Rataou, qui demande que je le console de ses pertes à lui par un gros présent. Le même malheur m’est arrivé à Séchéké aussi, il y a sept ans. Les bagages alors étaient du moins les miens. Des nouvelles plus graves, c’est que les partisans de Robosi se sont retirés, que ceux d’Akoufouna ont couru aux armes, et qu’on se bat du côté des chutes de Ngonyé. Un express est venu appeler les chefs qui étaient ici, mais avec ordre de nous laisser un certain nombre d’hommes sous l’autorité d’un brave vieillard du nom de Pélépélé. Nous ne perdons rien au change. Mais l’horizon est sombre et gros d’orages. On nous dit : « Vous êtes au pays maintenant, allez vous établir où bon vous semblera. » Mais où ? Il s’agit d’abord d’arriver à Séchéké, et puis nous verrons. Dans ce coupe-gorge, nous avons autant ou aussi peu de sécurité dans un endroit que dans un autre. Quand je me plaignais a Rataou de la conduite de ses gens : « Ah ! morouti (missionnaire), répondit-il, nous,
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