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trop. Aussi, après avoir béni publiquement le mariage de Karoumba, je laissai les évangélistes et revins à la maison. Ma femme était, comme toujours, malade. Vous ne la reconnaîtriez pas, elle est si amaigrie et si faible. Elle n’est plus à un âge où la constitution supporte des secousses si fréquentes. Léchoma, 24 juin i885. Une nouvelle désastreuse nous arrive de Saul’spoort. Dans leur voyage de retour au Lessouto, nos conducteurs, l’évangéliste André et sa famille ont perdu plusieurs boeufs. Un coup de foudre en tua sept. André et Joseph furent renversés, insensibles. Lorsqu’ils revinrent à eux-mêmes,|i|e jeune Zakéa Mosénéné, à la tête de l’attelage, était aussi par terre, et, en regagnant ses sens, il s’écriait : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit ! » Il n’y eut personne de tué, grâce à Dieu. Mais ces pertes, ajoutées à toutes les autres, font pour nous un douloureux oreiller de tristesse et de soucis. Nous sommes maintenant en plein hiver. Le thermomètre, descendu le matin jusqu’à 7 degrés centigrades, s’élève, au milieu du jour, à a5 degrés. Les grandes chaleurs et la vive lumière de l’été sont donc passées, et avec elles la fièvre, cet hôte importun dont nous n’avons pu nous débarrasser pendant les six derniers mois. Quand souffle le vent du nord-est, il nous arrive imprégné des miasmes des parages des chutes Victoria. Les appétits languissent alors, les maux de tête, les frissons et tous ces lugubres symptômes, qui nous sont maintenant si familiers, nous attaquent plusieurs à la fois ou tous simultanément. C’est la fièvre. Mais elle est bénigne et de courte durée. Nous nous sentons revivre, l’entrain renaît avec le courage, 1 avenir même s’illumine devant nous, comme s’il ne devait plus y avoir de printemps ni d’automne, c’est-à-dire de mauvaises saisons. Sans doute, au Zambèze, on est bien un peu trappiste malgré soi. Tout vous dit et vous répète chaque jour l’avertissement solennel : « Frère, souviens-toi que tu dois mourir. » Quelque bienfaisante que soit cette pensée, nous partageons l’illusion de tout le monde, et nous croyons que le moment n’est pas encore là, puisque nous n’avons pas encore fait notre oeuvre. Quand on demande à un mo-Souto s’il va pleuvoir, il prend la mine d un sage, regarde les nuages, considère le vent, et il répond invariablement avec toute la gravité d’un oracle : a Si la pluie aime tomber, elle tombera ; si elle n’aime pas tomber, elle ne tombera pas. » Et vous voilà bien avancés ! Je demandais l’autre jour aux marchands qui ont passé des années dans ce pays s’ils considèrent que cette année a été bonne ou mauvaise quant à la fièvre. « Eh bien 1 me dirent-ils, après des saisons pluvieuses comme après des saisons sèches, nous avons eu des années bonnes et nous en avons eu de mauvaises aussi. » Les yeux fermés, j’aurais cru que c’était la réponse de quelque philosophe du Lessouto. Mon impression à moi est que nous avons eu une bonne saison. Lors de notre premier voyage, en 1877, nous avons passé ici la meilleure partie de l’année : nous avons été constamment et dangereusement malades, et nous avons perdu deux hommes. Du reste, j ’ai la conviction que si la « peste meurtrière » ne s’est pas approchée de nos tentes, c’est que les prières des enfants.de Dieu nous ont entourés. La vie de Léchoma est nécessairement triste et monotone. L’attente et l’incertitude de l’avenir la rendraient insupportable, si chacun n’avait ses occupations régulières. Notre « parc ». n’a ni allées ni sentiers. Sous les arbres rabougris, ce ne sont que des fourrés hantés par les serpents. On n’y entend guère que le cri rauque des perroquets et le ramage d’une volée d’oiseaux qui attaquent occasionnellement quelque hibou attardé et surpris par le jour. La population à proximité ne se compose, vous le savez, que de quelques familles de chasseurs métis et de celle du marchand Blockley avec les ma- Saroa et les Zambéziens qui sont attachés à leur service. Des bandes de ma- Soubyia, de ba-Toka, de ma-Nangow, de ma-Chapatane, etc., vont et viennent constamment pour chercher un peu de travail et vendre leurs denrées. Le coeur se serre en voyant ces pauvres gens faire un voyage de six jours et plus (aller et retour) pour échanger une ou deux calebasses de millet ou d’arachides contre un morceau de calicot ou quelques colliers de verroterie. Quand notre provision est faite, il faut les renvoyer, au lieu de les prendre à notre service, ce qu’ils ne comprennent pas. Nous saisissons ces occasions pour leur faire connaître quelque chose de l’Évangile. Bon nombre de ceux qui ont travaillé chez nous sont partis avec une connaissance plus ou moins complète de l’alphabet et aussi de quelques cantiques. Nous avons à notre service deux jeunes gens qui sont un peu plus avancés. L’un d’eux, Kambourou, est notre factotum et aussi notre blanchisseur. Il frotte impitoyablement le linge jusqu’à le trouer, ou bien le rapporte à peu près dans le même état qu’il l’a pris. Il n’a jamais été à Paris, ce Kambourou, il ne connaît pas l’eau de Javelle : il fait le désespoir de notre ménagère. L’autre est notre marmiton,, éveillé et intelligent : c’est Ngouana-Ngombé, le « veau » ! Comme Kambourou, il était loué pour un mois; en voici dix que les deux sont avec nous. Ngouana-Ngombé a pris goût à la cuisine, qui se fait en plein air. Il va puiser son eau, chercher son combustible dans la forêt, et pile le inaïs qu’il fait cuire tous les jours sans sourciller. Quand on l’appelle, il accourt sautant sur une jambe : on sait qu’il est de bonne humeur; le contraire, c’est l’exception. Il a une montre dans la tête, ce garçon-là, et elle ne se détraque jamais. A sept heures, à la minute, tous les matins, le café (mêlé


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