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voir. Mais je ne me trompe pas, c’est bien Yantji, mon facteur, qui revient et rapporte nos lettres 1 Et nous qui les croyions déjà en .plein Kalahari!... Quelle tuile! Un marchand, envers lequel je suppose que Yantji est endetté, prévoyant que la chasse à l’éléphant, fermée par la révolution du pays des ba-Rotsi, allait se rouvrir, avait arrêté mon homme au passage, et me renvoyait notre courrier. Les Pères de la mission jésuite, qui partagent notre désappointement, m’envoient leurs condoléances et m’annoncent qu’ils expédieront un wagon à Tati ou à Mangouato fin de mai ou commencement de juin. Merci! A ce compte-là, avec les délais africains, vous recevrez nos lettres en octobre ou en novembre. Sur ces entrefaites sont arrivés les wagons que nous attendions, avec une masse de nouvelles, beaucoup de lettres, et un sac tout plein de journaux et de publications. Les nouvelles, elles, ne sont pas gaies. Nos jeunes Zambéziens, qui revenaient tout radieux, nous apprenaient que, de leurs compatriotes qui, malgré tout ce que nous avions pu faire ou dire, s’étaient obstinés à suivre Makoatsa retournant à Mangouato, cinq sont morts de faim et de soif. Deux d’entre eux avaient quitté notre service. — Un soir, se laissant choir sous un abri dans le désert, l’un de ceux-ci dit à son compagnon : <a C’est fini, je ne puis pas aller plus loin, je me meurs. C’est ta faute, c’est toi qui m’as entraîné contre mon gré... » On se leva de nuit, et on abandonna là le malheureux qui sommeillait encore! Peut-on se figurer son réveil? Peu de jours après, c’était le tour de son compagnon. Parmi nos boeufs de trait aussi, nouveaux désastres. Je ne m’étais pas trompé dans mes prévisions ; l’épizootie qui a sévi ici avec tant de violence les avait fauchés. Nos wagons seraient encore à Mangouato dans l’impossibilité de bouger, si nos chers amis Musson et Whiteley, au détriment de leur commerce, malgré leurs pertes et leurs besoins, ne nous avaient prêté des boeufs pour les ramener au Zambèze. La mort d’une partie de nos boeufs amène de nouvelles complications pour notre voyage à la Vallée, et nous cause un grand souci. Sûrement notre Père céleste ne permettrait pas de si sérieux embarras s’il n’y avait lui-même pourvu. C’est quelquefois difficile, mais il faut, pourtant que la foi surnage au-dessus de tous les flots. L’Eternel y pourvoira ! c’est là notre devise. Et ce sac de journaux, avec quel plaisir nous l’ouvrons, trions les différentes publications, et les collationnons par dates ! Si vous saviez comme nous soupirons après quelque chose de nouveau, de frais à lire. Notre bibliothèque est si limitée qu’intellectuellement aussi nous errons dans les solitudes arides du désert. Ce n’est pas la moindre de nos privations, celle-là. N’en déplaise à certains amis qui ont de nous une trop bonne opinion et nous croient audessus de ces choses; mais tout ce qui nous tient au courant du mouvement des esprits en Europe, soit en politique, soit en littérature, soit en religion, nous intéresse vivement. De loin, votre monde nous paraît plus agité que jamais, il est en travail. Nous ne sommes pas des spectateurs impassibles, croyez-le; chaque journal, chaque nouvelle nous fait passer par de nouvelles émotions. Je viens de lire le rapport. Ce qui m’y captive surtout, c’est la liste des donateurs et de leurs dons. Je l’analyse, mon journal d’Europe à la main. M’en blâmerez-vous? J’y cherche les unes après les autres toutes les localités que j ’ai visitées, celles surtout où on avait battu la grosse caisse pour attirer le grand public. On était si fier d’exhiber un voyageur protestant, un lion récemment venu du Zambèze ! Que la langue française était belle quand, dans un élan chaleureux d’enthousiasme, un orateur plaçait sur les coeurs d’une assemblée Sympathique l’évangélisation de l’Afrique tropicale!... On promettait beaucoup. J’ai le droit de le demander au rapport : Qu’a-Uon fait ici? Qu’a-t-on fait là? Ici peu, là rien. Une entreprise missionnaire, ce n’est pas un ballon qu’on gonfle de gaz, qu’on lance en l’admirant dans les airs et qu’on abandonne à son sort; non, c’est une oeuvre qui demande une coopération énergique, personnelle et constante... Je l’ai bien senti dans mes voyages, et je sais où gît notre force. Si elles sont rares les Eglises qui, comme celles de Marseille et de Nantes, nous secondent d’une manière collective, il y a des amis, des amies, quelques riches et beaucoup de pauvres qui nous portent sur leurs coeurs; des orphelinats, des écoles du dimanche, de chers enfants qui veulent avoir une part dans notre oeuvre. Chaque don, quelque minime qu’il soit, chaque nom, c’est un message qui nous dit silencieusement qu’on aime la mission du Zambèze et qu’on prie pour elle. C’est un lien puissant qui nous unit. Avec tous ces bien-aimés collaborateurs riches et pauvres, grands et petits, français et étrangers, le faix du jour est moins difficde à porter et le succès nous parait plus certain. . 17 avril. Je renvoie demain les boeufs de nos amis de Mangouato. Nous en avons déjà perdu deux et je crains des pertes plus grandes. C’est donc une occasion pour la poste et je ferme cette lettre. Je puis à peine tenir la plume. Moi aussi, je viens d’avoir un attaque de fièvre assez violente; j’espère qu’elle sera courte. Depuis que j’ai écrit ce qui précède, j ’ai été avec nos deux évangélistes de l’autre côté de la rivière, avec l’intention d’y faire une course d’évangélisation de quinze jours. Mais l’état de mon monde à Léchoma m’inquiétait


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