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qu’il était, et, les trouvant sans doute trop petits pour sa taille, les a tordus de son mieux et remis dans la caisse pêle-mêle avec des médecines en flacons, du plomb, etc. L’affaire des chemises nous a fait rire, et nous nous sommes dit: Si seulement le coquin avait eu l’obligeance de nous laisser un morceau de savon ! Mais la perte de notre verroterie et de nos étoffes —• notre argent de poche pour la route — nous place dans une grande difficulté. Vous voyez que nous n’avons pas fait fausse route en apportant l’évangile au Zambèze. Dans un de mes voyages précédents, j’ai pris les portraits de plusieurs des chefs, et j ’ai assez bien réussi à les imprimer. Des jeunes gens à qui je les ai montrés à Léchoma ont publié la chose. Aussi, dans chaque village où nous passons, il faut voir tout le monde accourir et me demander d’exhiber « les chefs que j ’ai dans ma poche ». Il faut voir l’excitation des femmes, les exclamations bruyantes des hommes, les remarques curieuses de tout ce monde enjoué : « Eh ! Rataou ! vous voyez ses charmes, son bandeau, ses rides ! Quel nez ! Yo ! Yo ! — Yo ! voici Masotoane ! Ne le voyez-vous pas avec son oeil fermé ! Regardez donc son oreille déchirée ! Voyez ses pendants, ses perles ! Il va parler, et vous allez l’entendre dire, en clignant l’oeil et avec sa toute petite voix : Ka Sébètoane ! Koenyama ! Oh! louméla Masotoane ! » Ici, l’intérêt est au comble. Si jamais j ’en fais des copies et les exhibe avec ma lanterne magique, que sera-ce ? Mais on entre en foule dans la cour. Les chefs m’amènent les jeunes gens qui doivent nous conduire à Léalouyi. Il faut donc attacher les paquets et se préparer sérieusement. Léchoma, 5 mars i 885. Vous saviez, par nos dernières lettres, notre départ pour Léalouyi. Aujourd’hui je me hâte de vous annoncer notre retour et de vous donner quelques détails sur notre voyage. Je l’avoue, nous le redoutions bien un peu, ce voyage, par la saison des pluies ; mais comme les événements qui l’ont retardé s’étaient produits complètement en dehors de nous, le chemin du devoir était clair. Nous avions le droit de compter sur la bénédiction de Dieu avec la confiance que donne une obéissance joyeuse. Nous n’avons pas été déçus. Le voyage a été des plus heureux et des plus prospères. Il a duré deux mois jour pour jour, au lieu de trois et même de quatre, comme on nous le prédisait. Aaron et moi, nous nous sommes portés à merveille. Middleton seul a été malade. Avec le manque de prudence qui le caractérise, il s’est dès le début brûlé les pieds au soleil dans son bateau. Non seulement il en fut impotent tout un mois, mais sa constitution en reçut un tel choc que son état nous causa du souci. Au retour, grâce à Dieu, il s’est rétabli promptement. Sous la conduite de chefs qui nous entouraient d’égards, avec un vieillard nommé Mokhèlé, un de ces dignes païens que l’on aime à connaître, un voyage sur le Zambèze ne pouvait pas manquer entièrement de charme. La rivière elle-même est toujours belle avec les monstres qui s’ébattent dans ses abîmes, et les nuées d’oiseaux aquatiques qui animent ses plages sablonneuses; avec ses îlots verdoyants, ses rives, ici irrégulières et dénudées, là bordées de coteaux couverts de forêts, avec ses rapides et ses chutes. A chaque contour, c’est un nouveau panorama. Il n’y a précisément rien de pittoresque ; la végétation elle-même n’a rien de remarquable ; mais elle est là, se mirant dans le cristal du fleuve et bordant l’horizon. A certains endroits j ’aurais pu me croire sur le lac de Còme ou sur le lac Majeur. Après tout, disons-le franchement, l’attrait de la nouveauté s’use assez vite. Adossé à son bagage, pelotonné sur une natte humide, dans le tout petit espace que lui laissent ses 5 ou 6 canotiers, bercé tout le jour au grand soleil, le voyageur se lasse d’admirer, se fatigue de lire, lutte contre le sommeil et finit par céder à la fatigue. Ce n’est plus le Lessouto où l’on enfourche sa monture et où on la dirige à son gré par monts et par vaux. A un certain âge, l’apprentissage du canot zambézien est dur; mais on s’y fait tout de même. On risque de s’impatienter quand les avirons battent les flots avec nonchalance, que les nautoniers se livrent, en prisant à leur aise, à un bavardage étourdissant, et qu’on n’avance pas. Quand la navigation devient difficile et dangereuse, alors, l’intérêt se réveille, le babil cesse, pas de réponse à une question inopportune. On n’entend plus que la cadence des rames qui font bouillonner l’onde. On est sur ses gardes, car le Zambèze est ombrageux ; un sifflement suffit pour exciter son courroux, appeler le vent, moutonner les eaux et soulever les vagues qui font chavirer les pirogues. On part généralement au point du jour, après la prière en public, et quand chacun a pris sa place à son poste. A part deux ou trois courtes haltes sur la berge, on ne s’arrête que pour camper. A deux heures de relevée, on discute déjà le lieu du bivouac, puis plus tard, vers quatre heures, on amarre les barques, on construit les abris et on prépare le repas du soir et la nourriture du lendemain. Je parle d’abris 1 Ce ne sont que des chenils de roseaux et de paille où nos jeunes gens s’entassent. Survient-il un ouragan pendant la nuit ? les abris s’effondrent immanquablement. Les Zambéziens y sont habitués et prennent la chose stoïquement. Les uns s’enfouissent sous ces amas d’herbe mouillée, les autres se couvrent des nattes sur lesquelles ils étaient étendus, celui-ci sommeille accroupi et bat la mesure avec une écuelle de bois sur la tête en guise de capuchon, tandis que celui-là, affublé des haillons d’un vête


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