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\ Ce ne fut pas sans beaucoup de peine que je pus parvenir à leur faire expliquer qu’ils n’avoient rien â craindre. Pour les en convaincre d’une manière plus rassurante encore , je baissai un de mes bas et leur fis voir et sentir dans les chairs de ma jambe une douzaine de grains de plomb , dont m’avoit gratifié autrefois la libéralité de M. Papillon de la Ferté , qui, chassant dans la plaine de Gennevilliers , m’avoit tiré pour un lapin. Klaas s’approcha aussi des blessés. Sans perdre son tems en paroles qu’ils n’eussent pas comprises, il tira de -sa giberne quelques grains de plomb, lés leur montra, e t le j avala aussitôt. Cette démonstration vraiment concluante , et dont je ne m’étois pas avisé , fit un effet prodigieux. Les cris cessèrent à l’instant même , la sérénité reparut sur les trois visages , et il ne fut plus parlé des. blessures. Néanmoins, je craignois qu’il ne restât dans les esprits quelques semences de soupçon et d’animosité., Mais quand on vit les blessés marcher a leur ordinaire et se bien porter , on plaisanta de l ’aventure ; et elle ne produisit d’autre effet que d’inspirer une telle terreur des fusils, qu’il n’y eut plus personne qui ojjât y toucher. Le soir , dès que mes feux furent allumés., tout le monde vint y danser et faire cercle, comme à l ’ordinaire., Les conversations roulèrent toutes sur l ’accident du matin ; si cependant on peut appeller conversations le tumulte et le brouhaha d’une multitude d’hommes qui parloient six langues différentes. Je m’en amusois beaucoup, quoique je n’y comprisse rien. Seulement j ’entendois toutes les bouches prononcer le mot de kaa- boup ; c’est le nom que mes Hottentots donnoient au fusil j et ce nom étoit celui qu’avoient adopté tous les Sauvages qui composoient l’assemblée. Parmi les Kabobiqüois , les uns irnitoient avec le son de la voix l ’explosion du kaaboup ; les autres faisoient le geste d’un homme qui couche en joue pour tirer ; chacun jouoit sa pantomime. Ces gaietés durèrent toute lâ nuit j et ce fut ainsi que se termina une journée qui avoit menacé d’être tragique et sanglante. JLe Kabobiqüois n’a ni le nez écrasé des Hottentots, ni la pommette des joues élevée comme eu x , ni enfin cette couleur bâtarde de* peau q u i, n’étant ni blanche ni noire , les rend étrangers et presque odieux aux deux races. Il ne s’oint pas le corps de ces graisses dégoûtantes qui font qu’on ne peut approcher d’eux sans se gâter et s’em- puantir. Aussi grand que le Caffre pour la taille , il est d’un noir aussi décidé que lui. J ’ai dessiné ce Sauvage dans toute sa gloire, c’est-à-dire , tatoué y couvert de ses ornemens et joyaux , et arme de pied en cap comme pour un jour de bataille. Il se prêta très*complaisamment à mon désir. Mais j’avoue que quand j e le vis entrfer dans ma tente, le carquois sur 1 epaule, le bras passé dans son bouclier, le corps paré noblement d’un long manteau qui traînoit jusqu’à terre ; quand il s appuya fierement sur sa lance avec la tête haute et le regard assuré, je fus frappé de sa bonne mine et de ;son air guerrier. Plusieurs fois j ’interrompis mon travail pour l’admirer. Je me transportois en imagination dans des tems plus reculés et dans des climats situés sous une même latitude 5 de l’autre côte de 1 equateur j et il me sembloit voir Jugurtha ou Syphax, en armes, marcher au combat dans les déserts de la Numidie , pour defendre leur empire contre les Romains. Aussi, toutes les fois qu en écrivant mes notes, j’avois occasion de parler de lu i, je ne le désignois jamais que sous le nom de mon Jugurtha. Leurs cheveux, fort courts et fort crépus , sont garnis de petits boutons de cuivre rangés symétriquement et avec art : au lieu de ce tablier de pudeur que-le Hottentot fait avec la peau du ja cka l, ils ont une pièce ronde en cuir, dont le contour est orné d’un petit cercle de cuivre dentelé , et sur laquelle , ils tracent, avec plusieurs couleurs de verroteries , divers compartimens qui, partant du centre vont , en divergeant, vers la circonférence, comme les rayons de nos images du soleil. Cette sorte de voile est assujettie sur l ’aine par une ceinture ; mais comme il n’a que quatre pouces de diamètre , que le moindre mouvement le dérange et qu’ils s’inquiètent fort peu de ces deplaee- înens , la plaque remplit très-mal l’usage auquel elle est destinée.


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