Dans les grandes chaleurs, ce tablier étroit et presque inutile est pourtant la seule chose qu ils aient sur le corps. Au reste , sa grande mobilité m a mis souvent à portée de me convaincre qu’ils ne pratiquent point la circoncision ; mais elle m’a fait connoître aussi qu’ils ont, sur la pudeur , des idées fort différentes des nôtres. Ce n’est pas pourtant qu’avec cette nudité, presque absolue ils aient des moeurs licentieuses. Les leurs, àu contraire , sont chastes. Rien de plus sage et de plus réservé que leurs femmes ; et quand je les comparais à celles de ces Grands Namaquois , qui se montraient si faciles et si agaçantes , je ne pouvois croire qu’à une distance peu considérable on pût voir une différence aussi grande. Mes gens, accoutumés aux complaisances de celles-là , ne s’accom- modoient guère de la sévérité des dernières } et le sacrifice leur pa- roissoit d’autant plus pénible qu’elles étoient plus jolies encore que les Namaquoises. Les filles qui chez les Sauvages n’ont point la même retenue que leurs mères, parce que, n’ayant pas les mêmes obligations, elles sont libres, ici étoient réservées et sages comme elles. A la vérité , elles avoient cette gaieté de leur âg e, qui ajcrutoit encore à leurs charmes } mais elles n’étoientque gaies. Dès que la danse finis- soit et que les parens se retiraient au kraal , toutes partoient avec eux, et pas une seule ne restoit dans mon camp. Soit raffinement de coqueterie , soit effet de sagesse, les Kabobi- quoisesne se tatouent point le visage comme leurs maris et leurs pères. Elles ne garnissent point leurs cheveux de ces boutons de cuivre qu’ils mettent dans les leurs-} et toujours elles ont les pieds nuds, quoique la plupart d’entre eux portent des sandales. Leur habillement est un tablier de pudeur, qui ne descend qu’à moitié dus cuisses} un kros, qui, passant sous les aisselles,, vient s’attacher sur la poitrine , et un long manteau, semblable à celui des hommes. Le manteau est en peaux garnies de leurs poils} et le kros en peaux tannées et apprêtées comme celles de nos gands d’Europe. Quant à leurs verroteries, elles les portent en bracelets } elles en font font des colliers dont les garnitures descendent-par étages jusque« sur l ’estomach ; et én attachent sur le devant de leurs ceintures plusieurs rangées, qui tombent sur les cuisses, au-dessous du tablier. Ces sortes d’oriiemens étant d’assez longue durée, l ’habitude de ,les. voir rend le sexe peu sensible au plaisir de les posséder. Ceux qui venoient de moi plurent d’abord beaucoup, à raison de leur nouveauté. Mais quand j’eus montré des ciseaux et des aiguilles, onleur préféra ces derniers objets} et ce choix fait honneur au bon sens des Kabobiquoises. Comme leur chef, elles prisoient plus ce qui est utile que ce qui pare. Ce n’étoit point assez de leur avoir donné des aiguilles} il falloit encore leur montrer à s’en servir} c’est ce que je fis , et bientôt elles réussirent assez bien à joindre deux morceaux de peaux ensemble. Elles employoient , pour cétte opération , un petit fil de boyaux qui se faisoit dans la peuplade} et ce procédé leur paroissoit plus expéditif, plus solide et plus propre que celui dont se servent en pareil Cas les Sauvages, et qui consiste à percer le cuir avec une arrête ou un os pointu, pour passer ensuite leur fil dans le trou. Depuis que je suis revenu de mes voyages , jamais je n’ai vu une femme coudre, sans songer à mes Kabobiquoises. Mais en y réfléchissant mieux , je n’ai point manqué de me repentir de leur avoir enseigné un art dont bientôt la privation ne leur aura laissé que des regrets. Lorsqu’à mon premier voyage j ’appris aux Caffres à faire un soufflet de forge, au moins celui que je leur fabriquai devenoit un modèle, et ils avoient chez eux tout ce qu’il leur falloit pour en construire de semblables. Il n’en étoit point ainsi dé mes Kabobiquoises. Bientôt leurs aiguilles auront été cassées, ou hors d’état de servir, comme le rasoir du chéf; et il ne leur aura resté que l ’impossibilité de les remplacer èt le chagrin d’en avoir connu l ’usage. -Si la connoissance d’un art nouveau procure, par ses avantages, quelques jouissances nouvelles, élle donne aussi de nouveaux besoins } et l ’enseigner à un peuple qui manque dëYnoyens de s’en assurer la propriété, c’est lui faite un très-mauvais présent. Tome I I . X
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