De toutes les hordes que j ’avois vues jusqu’alors , aucune encore ne “s’étoit montrée aussi recherchée dans ses ornemens et ses atours que celle des Kabobiquois. Jenevoyois point, parmi ses parures, les rassades et les verroteries du Gap ; le commerce de ces sortes de marchandises ne pénétroit point jusqu’à elle. Elle portoit les bijoux en cuivre et les verroteries oblongues , dont j ’ai parlé ailleurs ; et tout cela lui étoit apporté par des Noirs, dont elle n’en- tendoit point la langue, mais méchans et voleurs , et contre lesquels elle avoit à se battre souvent ; parce que, quand ils .s’en retournoient, après avoir vendu leurs marchandises, ils cherchoient à les enlever et souvent des bestiaux avec elles. Les objets de traite que j ’avois en ce genre étoient inconnus ; et avec ce mérite de nouveauté ils ne pouvoient manquer de plaire beaucoup. A peine én eus-je montré quelques-uns , qu’on se les disputa^ et que tout le monde voulut en avoir. Les femmes sur-tout ne .pouvoient se tenir. Enfin, on jugera de l ’empressement général’, quand j ’aurai dit que dans une seule journée je fis , et presque pour rien, l ’ucciuisition de vingt boeufs. Mais le marché le plus avantageux que je conclus , fut celui d’un bakkely os ( boeuf de guerre ) , qui appar- tenoit au chef. Cet animal, moins remarquable encore par sa taille gigantesque que par ses superbes formes1 étoit le plus beau que j ’éusse vu jus- ques-làde son espèce. Sa tête, magnifiquement armée , portoit deux immenses cornes, qui s’éloignant symétriquement l’une de l’autre pour former deux demi-cercles parfaits , tout-à-coup replioient én avant leurs pointes , en s’écartant entre elles de quatre pieds huit pouces. C’étoit le chef lui-même qui l’avoit dressé. A ce titre il y te- noit beaucoup et ne voulo.it point s’en défaire. Mais je mis sous ses yeux tant d’objets différens, qu’il ne put résister à la séduction; et pour une boëte à amadoue , du tabac, quelques rangs de verroteries , deux bracelets, de laiton et plusieurs d o u x , j ’eus l ’animal. Cependant il parut, le lendemain, regretter son marché; ou plutôt ayant v.u entre mes mains un objet nouveau qui lui plut davantage que ceux qu’il avoit reçus la veille en échange, il n’eut plus d’ardeur que pour celui-ci, et voulut me rendre les autres. Cette envie bien naturelle de tout posséder lut la source d un evenement, dont il faut que je donne les détails ; car il faillit a me devenir funeste. Quoique je portasse ma barbe , ma coutume etoit de me raser la moustache defems en tems. Cette opération etoit pour moi un rafraîchissement agréable, et je me le procurois assez fréquemment, sur- toutdepuis quel’approche du tropique nousrendoit les chaleurs moins supportables. J ’étois occupé à me savonner les lèvres, quand le chef entra dans ma tente avec deux de ses parens ou amis. Libre' de toute cérémonie de politesse enVers des gens qui n en connoisse.nt nullement le protocole, je continuai ce que j avois commencé. Eux , qui ne comprenoient rien à mon opération, paroissoient fort surpris. Ils attendoient en silence quel en seroit le résultat, et suivoient de l ’oeil tous mes mouvemens. Cette eau qui moussoit dans mon bassin et que j ’appliquois sur mes lèvres, leur paroissoit une sorte de magie. Mais ce fut bien autre chose, lorsqu’ils virent le rasoir appliqué sur ma moustache et la barbe disparoître si facilement de l’endroit qu’il avoit touché. Ce prodige les émerveilloit à un point que je ne puis dépeindre. Pour le leur rendre plus sensible encore et leur en, montrer les effets de plus près, je pris par un des bouts le kros du chef, et en un instant j ’en rasai large comme la main. Ce Sauvage étoit un homme de bon sens et qui avoit plus d intelligence que n’en ont ordinairement ses semblables. Du premier apper- çu , il sentit de quel avantage inappréciable pouvoit lui être un rasoir, pour épiler un manteau d’été , et combien il en abrégeroit les façons. D’abord il me témoigna, par plusieurs signes tres-expres- sifs , son admiration pour un si merveilleux instrument ; puis,, sans perdre de tems en paroles que je n’eusse pu entendre , il me fit voir, par d’autres gestes également significatifs, l ’envie qu’il avoit de le posséder. 7, C’étoit la première fois que nous nous parlions sans truchemens ; mais sa pantomime étoit si énergique que je n’avois pas besoin d’m- terprètes pour le comprendre. Il me donnoit à entendre que les bra- V a
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