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d’eux , il se releya , et après avoir jette les yeux de tout côté pour voir si ses camarades étaient tous arrivés à leur poste, il se prépara à tirer. Pendant totit le tems de sa marche rampante je l ’avois suivi de 1 oeil ; et a mesure qu il avançoit j ’avoxs senti mon coeur palpiter involontairement. Mais les palpitations redoublèrent, quand je le vis si près des animaux, et au moment de tirer sur l ’un d’eux ; que n’aurois-je pas donné dans cet instant pour être à la place de Jonker, ou tout au moins à côté de lu i, afin d’abattre aussi l ’un de ces farouches animaux. J ’attendois dans la plus vive impatience que le coup de Jonker p a rtit, et je ne concevons pas ce qui l’empêchoit de tirer; mais le Hottentot qui étoit à mes côtés et qui, à la vue simple , le distinguoit aussi parfaitement que moi avec ma lorgnette , m’avertit de son projet. Il me dit que si Jonker ne tiroit point, c’est qu’il attendoit qu’un des rhinocéros se détournât, pour l ’ajuster à la tête , s’il étoit possible ; et qu’au premier mouvement qu’ils feroient, j ’entendrois le coup. En effet, le plus gros des deux ayant regardé de mon côté, il fut tire aussitôt. Blessé du coup , il poussa un cri effroyable, et suivi de sa femelle, courut avec fureur vers le lieu d’où le bruit etoit parti. Ge fut alors que je sentis îhon coeur tressaillir et que mes craintes furent portées à leur comble. Une sueur froide se ré-, pandoit sur tout mon corps ; mon coeur battait si fort que cela m’ô-r toit la respiration. Je m’attendois à voir les-deux monstres renverser le buisson , écraser sousleurs pieds le malheureux Jonker et le mettre en pièces ; mais il s’étoit couché , le ventre contre terre. La, ruse lui réussit parfaitement : ils passèrent près de lui sans l’apper- cevoir, et vinrent droit à moi. Alors à mon angoisse succéda la joie, et je m’apprêtai à les recevoir. Mais mes chiens, animés déjà par le coup de fusil qu’ils avoient entendu, se démenèrent tellement à leur approche que, ne pouvant plus les contenir, je les détachai et les lachai contre eux. A cette vue , ils firent un crochet, et allèrent donner dans une des embuscades où ils essuyèrent un nouveau coup de feu d’un des ê chasseurs;.puis dans une troisième, où ils reçurent un troisième coup. Mes chiens, de leur côté, les harcelloient à outrance ; ce qui ac- croissoit encore leur rage. Ils détachoient contre eux des ruades terribles ; ils labouroient la plaine avec leur corne, et y creusant dessillons de sept à huit pouces de profondeur, lançoient autour d’eux une grêle de pierres et de cailloux. Pendant ce tems, nous nous rapprochâmes tous , afin de les cerner «. de plus près et de réunir contre eux toutes nos forces. Cette multitude d’ennemis , dont ils se voyoient entourés, les mit dans une fureur inexprimable. T o u t -à -co u p , le mâle s’arrêta; et cessant de fuir devant les chiens , il leur fit face et se tourna contre eux pour les attaquer et les éventrer. Mais tandis qu’il les poursuivoit, la femelle se détacha de lui et gagna au large. Je m'applaudis beaucoup de cette fuite, qui nous devenoit très- favorable. Il est certain que, malgré notre nombre et nos armes, deux adversaires aussi formidables,, nous eussent fort embarrassés. J ’avoue même que sans mes chiens nous n'eussions pu combattre qu’avec risques et dangers celui qui restait. Les traces de sang qu’il laissoit sur son passage nous annonçoient qu’il avoit reçu plus d’une blessure ; et il n’en mettait que plus de rage à se défendre. Cependant, après quelque tems d'une attaque forcénée , il se' battit en retraite et parut vouloir gagner quelques buissons; apparemment pour s’y appuyer et ne pouvoir plus être harcellé que par- devant. Je devinai sa-ruse ; et dans le dessein de le prévenir, je me jettai vers les buissons, en faisant signe aux deux chasseurs les moins éloignés de moi, de s’y porter aussi. Il n’étoit plus qu’à trente pas de nous, lorsque nous nous emparâmes du poste. Puis , le visant tous trois en même tems , nous lui lâchâmes nos trois coups a la fois , et il tomba sans pouvoir plus se relever. Sa chûte fut pour moi une jouissance délicieuse. Comme chasseur et comme naturaliste, je goûtais un double triomphe. Quoique blessé à mort, l ’animal se débattait encore couché à terre, comme il l’avoit fait lorsqu’il étoit debout. Ses pieds lançoient autour de lui des monçeaux de pierres, e t , ni nous, ni nos chiens


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