de jo ie , un verre d’eau vie que je lui présentai pour le ragaillardir. Mais après en avoir avalé les deux tiers, il donna lé reste à une femme qui 1 accompagnoit. C’étoit l’une des siennes, car il en avoit deux. Celle-ci étoit grosse à pleine ceinture, et avoit voulu le suivre pour voir un homme extraordinaire. Depuis long-tems cette femme, à qui on avoit parle de moi, mais qui n’avoit jamais pu croire tout ce qu’elle en avoit entendu raconter de merveilleux, venoit pour s’en assurer par ses yeux. Elle m’examina très-attentivement, me regarda dans tous les sens, et finit par me faire beaucoup d’ami - ties. Je les lui fendis avec usure, et lui fis plusieurs cadeaux qui lu i plurent infiniment. Cette horde étoit une des plus nombreuses de la nation nama- " quoise. Je traversai le kraal avec toute ma troupe, et j ’allai dresser mon camp à quelques milliers de pas plus loin, près d’une source dont l ’eau étoit excellente, quoi qu’elle eût un coup-d’oeil laiteux' qui ne lui laissoit qu’uneu demi-transparence. Résolu de m’arrêter quelques jours dans ce lieu, pour étudier les moeurs de la nation, je notifiai mon projet à mes gens : c’étoit pour eux une nouvelle agréable. En un instant ils eurent dressé mes tentes, construits leurs huttes, et formé cette enceinte de piquets, qui selon notre coutume , quand je voulois séjourner, servoient à attacher et à renfermer nos boeufs et nos chevaux. Pendant que les femmes et les hommes travailloient chacun de leur côté, un joli guêpier, d’espèce nouvelle, vint effrontément se poser sur une de nos palissades. C’étoit venir de lui-même s’offrir à ma collection, aussi l’y fis-je entrer, en l ’abattant d’un coup de fusil. En ce moment, j ’avois près de moi plusieurs des Sauvages de la horde, qu i, attirés par la curiosité, s’amusoient à regarder les travaux du camp. Ces gens, dont la plupart n’avoient pas la moindre idée d’une arme-à-feu, furent étrangement surpris, et l’on peut juger de l’é- tonnemènt qüe produisit sur eux l ’explosion bruyante de la mienne et cette mort subite de l ’oiseau. Stupéfaits d’admiration, ils coururent rnrent aussitôt au kraal, raconter le double prodige dont ils ve- noient d’être témoins. On y avoit entendu le coup ; mais quand on sut que c’étoit l ’homme blanc qui avoit produit ce tonnerre, et tué à la fois un oiseau, presque toute la horde accourut au lieu du miracle. Le lendemain quand ces bons Sauvages vinrent visiter mon camp, j ’étois occupé à prendre hauteur. Ceux d’entre eux, qui, la veille m’avoient vu viser le guêpier avant de l ’abattre , me voyant mirer de même le soleil avpe mon quart de cercle qu’ils prenoient pour un second fusil, portoient attentivement la vue et sur l ’instrument et sur l ’astre. Immobiles et en silence, ils attendoient impatiemment que le coup partît, et ils furent très - déconcertés quand ils virent mon opération finir sans bruit. Le reste de la troupe qui, d’après leur récit s’attendoit à un prodige, ne savoit trop que penser de tout ceci. Enfin cependant, voulant les satisfaire d’une manière ou d’autre, et en même tems m’amuser de leur simplicité , je fis apporter ma lunette, ( c’étoit pour eux un troisième fusil), je la plaçai sur le pied qui.servoit de pivôt à ma grosse carabine, et après l ’avoir pointée sur le kraal, j ’appliquai à l ’occulaire l ’oeil du Namaquois que je jugeai le plus hardi de la bande. Personne n’ignore l’histoire de ce jeune homme qui, né aveugle par l’effet d’une cataracte, vit tout-à-coup la lumière par l ’opération de Cheselden. On sait que pendant quelque tems tous les objets qu’il appercevoit ne furent pour lui que des illusions. On sait qu’il les croyoit tout près de son oeil ; qu’il se trompoit sur leurs formes comme sur leur éloignement, et que ce ne fut que par l’expérience et le tact, qu’il apprit enfin à juger des distance^. Ce qu’étoit l ’aveugle de Cheselden, l’homme clairvoyant peut l ’être, s’il a une intelligence bornée, et si l’objet d’optique qu’il apperçoit est nouveau pour lui. Croire que le Namaquois qui étoit à ma lunette pouvoit deviner la magie de l ’instrument, ce seroit l ’élever à notre hauteur} ce seroit lui prêter notre expérience, nos Tome I L N
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