Dans 1 après-dinee, pendant que j ’étois occupé à écorcher et préparer mes deux aigles, on vint m’apprendre que nos chevaux étoient perdus. Un vieux Caminouquois, âgé de soixante ans, s’étoit chargé de les garder; mais le vieillard, accablé par l ’extrême chaleur, et plus encore peut-être par les fatigues d’un voyage au-dessus de ses forces, s’etoit endormi; et à son reveil ne les ayant plus retrouvés, il avoit craint d’être puni, et étoit allé se cacher. Le seul parti à prendre dans cette circonstance , étoit d’aller à la recherche; et c’est ce que je fis avec tout mon monde. Bernfry avoit son cheval égaré comme les deux miens. Au lieu de suivre mon exemple, cet homme violent, qui jusqu’alors s’étoit montré assez bien, parce que son naturel colérique n’avoit pas eu occasion d’é- elater, s emporta tout-à-coup en imprécations contrôle gardien imprudent; et avec des sermens horribles., il jura de l ’assommer, s’il le reneontroit. . Effectivement, à force de le chercher, il le trouva; et sans pitié pour son âge, sans compassion pour les regrets qu’ü témoignoit, d une, faute foen pardonnable , il le renversa sous ses pieds., et se mit à le frapper avec foreur. Cet emportement coupable étoit d’autant plus repréhensible, qu’en ce moment on venoit de retrouver les ciievaux et qu’on les ramenoit. Par bonheur pour le malheureux, je n’étois pas loin de lu i, A ses cris j ’accourus, et le trouvai baigné dans son sang. Ce spectacle, je 1 avoue, me mit hors dé moi-même. Saisi de colère, autant que d’in- dignation , j ’arrachai le bourreau de dessus sa victime; et le poussant de toutesmes forces loin du vieillard, je le menaçai de ma vengeance, s’il osoit seulement approcher de lui. «Apprenez, ajoutai- » je , que tous ceux qui composent mon camp , étant à ma solde et « à mon service, vous n’avez aucun droit sur eux : et que c’est- m’in- « soi ter moi-même que de les frapper ». Ce discours acheva d’irriter sa foreur. Il écumoit de rage ; et me demandant avec arrogance, si j ’étois venu dans le pays pour soutenir les Sauvages contre les Blancs, il menaça de me quitter; je le pris au mot, et l’en priai même d’un ton à lui faire comprendre que E N A F R I Q U E , je l’exigeois; et comme il y avoit dans mon camp quelques hommes et quelques femmes de sa horde qui l ’avoient suivi, je donnai ordre à ces gens-là de s’éloigner à l ’instant même. Ils allèrent le rejoindre; pendant que j ’emmenai le vieillard dans ma tente pour y panser ses plaies et lui donner des soins. Je vis le brutal se retirer avec son monde à quatre ou cinq cens pas de nous, et s’y établir pour y passer la nuit. Le voisinage d’un pareil homme étoit une chose allarmante ; et je ne vis pas sans inquiétude son affectation à rester si près de moi. Tout moyen est bon à un scélérat, pourvu qu’il se venge. Celni-ci emportoit une corne de buffle remplie de poudre, que je lui avois donnée pour la chasse ; et j ’avois à craindre qu’il ne s’en servît pour nous nuire. Mes gens, quoiqu’enchantés d’être débarrassés de lu i , quoiqu’applaudissant à ma sévérité qu’ils regardoient comme un acte de bonté'en leur faveur; craignoient, ainsi que moi, quelque trahison nocturne de sa part. D’une voix unanime, ils prirent tous le parti de veiller et de rester sous les armes jusqu’au jour, et je veillai comme eux. On se doute bien que la nuit se passa toute entière à parler de Bernfry. Les uns racontoient les actions de sa vie dont ils avoient été témoins ; les autres celles qu’ils avoient entendu conter ; et tous ne citoient que des horreurs abominables. Ces récits me donnoient beaucoup à penser. Je me reprochois l ’indulgence avec laquelle j’avois excusé précédemment et atténué ses torts; et je m’applau- dissois de ne l ’avoir plus dans ma société. Outre qu’il me devenoit inutile, puisque j ’allai me trouver dans des contrées où jamais nul Blanc n’avoit pénétré, et où lui-même n’étoit pas plus connu que moi, son humeur brutale et emportée, son brigandage et ses vices» pouvoient me devenir dangereux, en me suscitant des querelles et me faisant massacrer avec lui par les naturels du pays. G’étoit ce danger d’une compagnie étrangère qui m’avoit décidé à refuser plusieurs honnêtes gens du Cap, lorsqu’ils s’étoient offerts à m’accompagner dans mon voyage. D’après ce motif, n’eût-ce donc pas été une imprudence à moi
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