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un refus formel, elle me déconcerta. Mais les Caminonquois, mes bons amis, qui connoissoient leurs voisins, m’avertirent tout bas de n’être point inquiet; et ils m’assurèrent que, si je voulois cacher les- pacotilles que j ’avois annoncées, et sur-tout ne point prodiguer mon tabac, j ’obtiendrois bien-tôt tout ce que je désirois. L ’avis étoit très-sensé, et je ne pouvois que gagner à le suivre., En conséquence, pour inspirer au chef le goût de mes échanges, je lui fis un cadeau de très-bon tabac de Hollande; mais, au lieu d’en donner, selon ma coûtume, une certaine quantité, je réduisis mon présent à la charge de deux pipes, quoique la sienne fût démesurément grande. Il le fuma tout aussi-tôt, se recria sur sa bonté; et pour faire participer les principaux de sa horde à son bonheur, il leur fit passer successivement l.a pipe. Ceux qui ne furent point admis à cette félicité , paroissoient très- chagrins. Ils aspiroient de toutes leurs narines la fomée que lais- soient échapper leurs camarades, et venoient, d’un air suppliant, me présenter leurs pipes vuides. Moi, décidé, d’après mon système, à ne point céder, je demandois des boeufs; mais ils m’offraient des moutons ; enfin, pour ne pas montrer trop d’empressement à l ’échange, et les dépayser, j’affectai de n’en plus parler, et résolus de prendre patience et de les voir venir. Cependant, comme dans le nombre des femmes j ’en voyois qui avoient Pair de gronder leurs maris, et de trouver mauvais qu’ils ne s’arrangeassent pas avec moi, je crus que, si je rangeois celles- ci de mon côté, je viendrois plue promptement à bout de mon marché. Ainsi donc, j ’annonçai que si Pon vouloit m’apporter du lait dans mon eamp, je payerois chaque terrine avec un rang de verroteries long d’un pied._ Assurément e'étoit-là un prétexte. Je n’avois nul besoin de lait, et mes trois vaches m’en fournissoient plus qu’il ne m’en falloit pour ma consommation. Néanmoins la journée se passa,, sans que je fisse affaire. Je crus même pendant quelque tems que ma proposition n’auroit aucun succès ; mais sur le soir, toutes les femmes arrivèrent aveG des terrines, et mon camp fut rempli de lait. Je payai très-exactement. Elles auroient bien voulu, qu’au lieu de verroteries, je leur eusse donné de mon bon tabac. Mais je tins ,ferme, et mes refus oonstansopérèrentmême si bien, que l’une d’elles , qui avoit apparemment plus d’empire sur son mari que les autres, m’assura que le lendemain dans la journée elle » ’amènerait deux beaux boeufe. Il y eut bal, selon l’usage; et l’on dansa toute la nuit. Les filles namaquoises sont très-bien faites, d’une jolie figure, et sur-tout fort galantes. Mes gens profitèrent de la danse , pour obtenir d’elles des tétes-à-têtes. N’ayant point, comme moi, des boeufs à acheter,, ils employèrent, à négocier ce marché, leur ration de tabac ; et faute de mieux, on acceptoit l’offre. Comme chef de la caravane, comme Blanc, enfin, comme possesseur d’un tabac bien supérieur., j ’essuyai aussi beaucoup d’aga- Ceries. Je suis persuadé, que pour la charge de quelques pipes, j ’aurois pu contracter alliance avec toutes les familles. On me pressa même assez vivement, pour me voir obligé d’employer quelque résistance. Mais j ’avouerai en même tems que mes refus n’offensèrent point, et que les personnes qui en avoient été pour leurs avances, ayant bientôt trouvé à faire d’autres arrangeinens, ne m’en témoignèrent pas moins d’amitié. Moi, de mon côté, quoique je me fosse imposé par prudence certaines bornes que je ne voulois point franchir, cependant je me permettois par fois de la gaieté en paroles. Bemfry m’avoit appris à dire en namaquois, jieu y c é neuyp maté; et chaque fois que je répétais cette phrase, aux jeunes filles, elles rioient aux éclats. Au reste, j’-ajouterai ici que les filles seules m’ont paru si libres, mais que les femmes étoient, au contraire, réservées et modestes; êt c’esit là une différence caractéristique qui distingue les Grands Namaquois -d'avec la nation hcrttentote1 en général ; comme ils sont distingués encore par l’air bas et rampant qu’ils emploiont quand ils ont quelque chose à demander. Le lendemain, i des -le matin, la femme qui m’avoit annoncé deux boeufs, m’en amena trois. Pour engager les autres à suivre son exem


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