Grande-Rivière. Quant aux rhinocéros, j ’en ayois rencontré deux dans une de mes chasses, mais n’ayant alors que mon fusil ordinaire , je m’étois bien gardé de les attaquer. Depuis long-tems on m’avoit prévenu sur les dangers qu’on court en irritant un pareil ennemi; et l’expérience m’en a depuis convaincu plus d’une fois. Parmi les animaux d’Afrique, l’éléphant seul est plus fort que lu i, et il y en a peu dont l ’attaque soit plus impétueuse; aussi il n’en est aucun qui soit aussi dangereux. Le tigre se fait entendre régulièrement chaque jour, au lever et au coucher du soleil ; et en avertissant ainsi de sa présence, il prévient de se mettre en garde contre lui. Le lion , dont l ’habitude est d’attaquer pendant la nuit, s’annonce par des rugissemens ; et d’ailleurs, malgré la férocité de ces deux tyrans des déserts, il suffit d’un grand bruit pour les effrayer et les faire reculer tous deux. I l n’en est point ainsi du rhinocéros. C est à la fois un traître que rien n’annonce, un agresseur que rien n’épouvante, et un furieux que toute résistance rend implacable. Mon séjour sur la rive gauche du fleuve m’avoit mis à portée de parcourir tout le canton qui étoit autour de moi ; ce qui me donnoit l ’envie de connoître l ’autre rive. Pour cela il falloit traverser la rivière , et les Sauvages qui venoient me visiter la passoient à la nage : ils m’avoiént Enseigné un gué, mais trop éloigné de mon camp; de sorte que je fis construire un radeau pour me servir toutes les fois que je voudrois passer sur la rive droite. La première fois que je l ’essayai, j ’avois auprès de moi deux Ca- minouquois qui étoient venus à mon camp. A la vue de ma machine , ils restèrent extasiés. M o i, pendant ce tems, j’admirois , de mon côté, l’ignorance grossière et le peu d’industrie de tous ces Africains , qui sans cesse exposés à être éventrés par des hippopotames ou à se noyer lorsqu’ils traversent des rivières débordées , sont peut-être sur le globe entier les seuls Sauvages qui n’aient point encore imaginé de pirogues. Je passai la rivière sur mon radeau avec mon KIaas et les deux . Caminouquois. Mais à peine avions-nous pris terre, qu’à nos yeux se présenta un spectacle bien désolant : c’étoit une sagaïe ensanglantée, près -de laquelle gissoit le cadavre, d’ un homme qui avoit été dévoré en grande partie par un lion. A son vêtement, et à ce qui restoit encore de son visage, les deux étrangers reconnurent un de leurs camarades, qui depuis huit jours manquoit à son kraal, et qui en étoit parti seul pour venir me voir. On distinguoit très- bién sur la terre les traces de la bête féroce. Pendant quelque tems il s’étoit défendu contre elle, et l’avoit même blessée, ainsi que l ’annonçoit le sang dont étoit teinte sa lance; mais il avoit succombé enfin ; et tel est le malheur de l’infériorité qu’ont, dans ces sortes de combats , des hommes privés d’armes à feu. Nous rendimes à ses tristes restes les derniers devoirs ; c’est-a- dire , qu’à la manière des Sauvages-, nous couvrîmes ses entrailles et ses os brisés d’un monçeau de pierres. Apres cette cérémonie, à laquelle je me fis un devoir de satisfaire comme eux, ils me quittèrent/ pour aller porter à leurs camarades la nouvelle de l’événement; et moi, affligé de.mon côté, d’avoir été, quoique très-innocemment, la cause involontaire de là mort d’un homme, je renonçai à la chasse que je projettôis , et revins à mon Càriip. Bientôt feuS épuisé ce que les deux cantons offrdiént de curieux pour ma collection ; et je n’eus plus d’autre voeu à faire que celui d’en sortir au plus vite. Mais l ’état où étoient mes attelages s’y op-- posoit. Forcés de se nourrir ;d’une herbe nouvelle pour eux-, -ils étoient devenus de vrais squelettes. Jamais je n’allois les visiter - que je n’eusse le désespoir dans l’amë: Ceux dé mes gens qui étoient préposés à leur garde, quand au bout de huit jours je les faisois relever et les rappellois au camp, ne revenoient guère sans m’annoncer qu’il étoit mort quelques bêtes. Depuis cinq semaines je sé- journois sur la rivière, dans l ’espoir que nous éporduverions quelque pluie qui reverdiroit les herbages; et pendant tout ce tems il n’avoit plu qu’une fois : encore etoit-ce si foiblement, qu a peine la poussière en avoit ete abattue. Cependant ,1a saison des grandes chaleurs venoit de commencer ;
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