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comptant à chaque instant avoir moi-même pour tombeau le même gouffre. Cependant nous eûmes le bonheur de doubler ce cap, si redoutable aux marins. Le 10 août , nous passâmes à la vue de Sainte-Hélène, et le 2.5 du même mois, nous coupâmes la ligne par les trois cent cinquante-huit degrés de longitude. Durant la route , je ne portois jamais la vue en arrière sans revoir en idée le malheureux IVLiddelbourg; quel affreux moment, me disois- j e , quand tonte cette famille sera descendue sous les- flots ! Je croyôi's entendre les derniers cris de cette mère infortunée, mêlés aux derniers cris de ses pauvres enfans. Hélas ! cette heure affreuse n’avoit point encore sonné pour eux ; elle les atten- doit au port. i Les quatre vaisseaux marchoient de conserve et sans se perdre de vue les uns les autres. Nous nous permettions même, lorsque le tems étoit calme et qu’on pouvoit mettre les chaloupes en mer, de nous faire, d’un bord à l'autre , des, visites d’amitié. Si le vent et la mer trop houleuse interdisoient ce genre de commerce , on en employoit Un autre, celui de l’écriture et des lettres; etc’étoient dea hirondelles de mer et des mouettes qui nous servoient de couriers. .... ■ Battus par les vents et fatigués, ces animaux venoîent se reposer sur nos vergues, où il étoit aisé à nos matelots d’en prendre quelques uns. Nous leur attachions aux pattes de petits billets,; puis leur donnant la volée et des effrayant par nos cris, pour l»s empêcher de se percher sur notre vaisseau , nous les obligions d’aller se reposer-sur un autre. L à , ils étoient saisis de nouveau par l ’équipage , et on nous les renvoyoit de la même ..manière , chargés de la réponse à nos billets. Ce stratagème curieux a je ne sais quoi de gracieux et de tendre qui me transporte en d’autres régions, et c’est une des • circonstances de mes voyages que je me rappelle toujours avec un nouveau, plaisir. A trois cent cinquante - cinq degrés de longitude , dix degrés quinze minutes de latitude nòrd, nous fumes saisis d’un calme qui nous arrêta quelque teins ; et alors je fus témoin d’un phénomène qui* connu’ des matelots de l ’équipagë , étoit nouveau pour moi. - .Un énorme poisson p la t, du genre des raies , vint nager autour de’notre vaisseau. Il diff'éroit cependant de la raie ordinaire, en>ce que sa tête , -an lieu de se terminer en pointe, formoit un croissant ; et qu’à chaque bout du demi cercle sortoient deux espèces de bras fort allongés que les matelots appeloient Cornes-, et qui;, larges de deux pieds à leur naissance, n’avoient que cinq pouces à leur extrémité. On me dit que ce monstre s-’appekût d ia b le de mer. Quelques , heures’ après , avec celui-ci, nous en vîmes deux autres ; dont l’u n , excessivement grand, fut jugé par l ’équipage avoir cinquante ou, soixante pieds de large. Chacun d’eux nageoit isolément, et chacun étoit éntourré de ces petits- poissons qui précèdent. ordinairement les requins, et que, par cette raison, lés gens de mer ont nommés pilotes; Enfin , tous les trois portoient sur chacune de leur Cornes un poisson blanc, de la grosseur du bras, Long d’environ dix-huit.pouces , et qui paroissoit être làr comme -en fàctidns-. Qn, eût- dit qnfii jles deux vedettes ne se plaçoient' ainsi qué'pour veiller à lh sûreté de l’animal ,■ pour l’avertir des dangers qu’il ■ eouroit, et diriger ses- mouvemens par les leurs. S’approchoit-iL trop près du vaisseau ; ils quittaient leur poste, et nageant avec ^vivacité devant lui-, ils Bobligeoient de s’éloigner. S’élevôit-il trop au-dessus de l’eau ; ils passoient et repassdient sur son dos, jus- .quà ce qu’il se fut enfoncé davantage.;Si , au contraire , 'il enfon- qoittrop; alors ils disparoissoient, et on cessoit de les v o ir , parce que -sans doute ils le touchoient en-dessous; comme , dans l’occasion précédente, ils J ’avoient touché en-dessus ; aussi le voyoit- on aussitôt remonter vers la surface de la mer et les deux factionnaires .reprenoient leur poste, chacun sur leur corne, a Pendant trois jours que dura le .cahne et que nous restâmes immobiles , faute de vent, le même manège se- répéta mainte fois sous . nos, yeux * et-il fut le même pour chacun des trois monstres. J ’eusse fort désire qu’on eût pu en prendre u n , et qu’il m’eût été:


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