Page 201

27f 82-2

Un autre malheur encore fut que, par notre défaut absolu de provisions , nous n’avions pour vivre que le produit de notre chassé.- Or, le gibier manquoit dans ces montagnes. En trois jours, nous ne trouvâmes à y tuer qu’Une gazelle tainsi: ce qui, pour sept personnes , faisoit une mince provision. Enfin, notre disette devint telle que, dans l’aprés-dîner du troisième jour, manquant totalement de nourriture, il fut résolu que chacun de nous iroit de son côté et chasseroit pour son propre compte; Klaas, par attachement pour moi, voulut m’accompâgner. Nous rapportâmes trois pics et six alouettes. Mes chasseurs eussent pu mieux faire que nous encore, en allant tirer des damans ; mais avides d un gibier plus considérable, ils négligèrent cette ressource', pour chercher des gazelles. Tous revinrent à vide, et doublement affames tant par le jeune précédant que par l’exercice violent et forcé qu’ils venoient de faire. Je regrettois beaucoup de ne pouvoir partager avec eux le produit de ma chasse. Mais à peine suffisant pour Klaas et pour moi ,, comment ent-ilJsatisfait a. ciircj autres personnes? C est dans cette occasion que j ’ai vu tout ce que peut produire d effrayant ce besoin terrible qu’on appelle faim. J ’ai entendu dire à un naturaliste célébré, Romée de Lisle, dont nùus pleurons la perte récente, que, pendant le siège de Eondichéri, en i ? 6 i , il s’étoit vu réduit à regarder comme un bonheur d’avoir pu acheter au- poids de l’or un vieille culotte de peau , qu’il partagea, par humanité , avec trois officiers de ses amis. Il restait à mes cinq Hottentots la peau de notre gazelle. Au défaut de tout autre aliment, ils s’en emparèrent ; et sans aucun préparatif, la faisant griller avec son poil, telle qu’elle étoit, ils la dévorèrent toute entière. L’odeur de Ce poil brûlé répandoit autour du brasier une infection qui me soulëvoit le Coeur. Mes affamés en paroissoient rebutés eux-mêmes. Néanmoins je les voyois tirer et arracher, à l’aide des dents et des mains, ce cuir dégoûtant. Dans d’autres' circonstances , les convulsions dont leur répugnance accompagnoit ces efforts m’eussent peut-être paru risibles. Dans cede-ci, elles me déchirèrent l’ame , et me donnèrent, une idée des extrémités affreuses auxquelles peut réduire la faim. La position où nous nous trouvions me fit regretter d avoir quitte ma caravane ; car, pour peu que nous fussions encore obliges de tirer sur des petits oiseaux pour vivre., nous ne devions pas tarder Ù manquer de munitions , ce qui nous auroit mis dans le plus cruel embarras; mais heureusement qu’ayant gagné dans l’est, nous ap- perçûmes, dans la plaine de l’autre côté des montagnes , plusieurs habitations de Colons. Cette vue rejouit mes mangeurs de peau. Nous descendîmes et gagnâmes là plus voisine, où nous n’arr jvâ- mes qu’à la chute du jour. Aussitôt que nous fûmes apperçus on nous pritpour des Boschjesman.ou pour des yoleurs, qui venoient attaquer et piller la maison ; on lâcha sur nous les chiens, et peu s’en fallut même qu’on ne nous réqut à coups de fusil. Ma meute heureusement arrêta et contint celle de là maison. Le maître lui - même étant accouru au bruit et m’ayant reconnu pour un Européen, fit rentrer ses gens et ses chiens , et vint au de- yant de moi. Il avoit entendu parler de mon voyage. Des que je me fus nommé, il me fît des excuses et me .pressa d’entrer chez lui. Je le priai de faire donner aux miens quelque nourriture. Il se prêta généreusement à ma demande , et nous accueillit meme avec tant d’amitié que je passai la nuit dans son habitation, A mon départ, je voulus m’acquitter envers lui ; mais, non content de refuser tous les témoignages de ma reçonnoissance, il donna encore- à mes gens , pour les provisions de leur route,. un pain , avec un quartier de mouton. Quant à moi, comme il m avoit vu ne manger que. du beurre, il en avoit fait battre du frais , et me pria d’en accepter un pot. Je regagnai les montagnes, parce que de leurs sommets pouvant découvrir cette Rivière des Eléphans où de voit être arrivée ma caravane , il m’étoit plus aise.de me diriger dans ma route. Nous eûmes encore trois jours de. marche , sans autre intérêt qu une nuit passée près d’nne belle source, chargée de ces arbustes dont les


27f 82-2
To see the actual publication please follow the link above