2.6 V O Y A G E Pinard m’abofda, pour m’apprendre qu’à une demi-lieue plus loin je trouverais un campement favorable pour mon monde et mes bestiaux, et il s'offrit de m’y conduire. La nouvelle me devenoit d’autant plus agréable , que c’étoit précisément là ce que je cher- chois. Je m’y fendisipfeous ¡sa conduite , avec toute ma caravane; mais il ne m’avoit pas dit que j ’y trouverais sa voiture, et l’idée de me : voir condamné de 'nouveau A! soft"' voisinage m’afïligea beaucoup, Cependant , comme je lui devoixune sotte de rëeonnoissance pour l’avis qu’il venoit de mè donner , je le priai d’entrer avec son compagnon dans ma tente, quand elle fut dressée'jet leur fis servir du tb é , dû1 café , du chocolat et deux bouteilles de vin. Mon intention ; en leur proctirant" ainsi une àjtrès-dînée à la hollandoise, étoit de les occuper et de les distraire jusqu'à la nuit, et par-là d’évb ter entre Schoenmaker et Bernffy des démêlés qui auraient été inévitables , s’ils n’avoient pas été tous deux sous mes yeux. Mon espérance fut trompée ; et ce furent les précautions mêmes que j ’avois prisés pour éviter une querelle, qui la firent naître. Pinard, mauvais plaisant et naturellement grossier, voulut dans la conversation s’égayer aux dépens de Schoenmaker, et le tourner en ridicule sur son ancien état de matelot. Tel est le préjugé des colons africains : regardés au Cap comme des paysans, eux-mêmes regardent avec mépris les subalternes qui sont au service de la Compagnie. Schoenmaker paroissoit affecté des lourdes ironies du chasseur ; cependant il se contenoit, et répondoit à ses sarcasmes sans aigreur et sans colère. Mais Bernfry s’étant avisé de lui lancer aussi son épigramme, cet homme, que jusques-là j ’avois toujours vu si doux et si paisible , sentit tous ses ressentimens se ranimer à la fois. Il entra dans une colère effroyable, qu’il ne me fut pas possible d’arrêter; et avec cette violence qu’a la rage quand elle ne se possède plus, il reprocha au railleur l’assassinat de plusieurs Namaquois qu’il avoit tués pour voler leurs bestiaux, celui d’une jeune Hottentote, qui , ayant été la victime de s? lubricité, l ’étoit devenue de sa fureur jalouse ; et d’autres horreurs pareilles dont E N A F . R I Q Ü E , 27 le récit me glaçoit d’effroi. Bernfry, sans desavouer ces abominations , ne répondoit à son ennemi qu’avec les expressions d’une rage égale à la sienne. Enfin, d’une main le saisissant au collet, et de l ’autre prenant son fusil, sors, lui d it-il, infâme matelot; tu verras qu’un coup de poudre de plus ne me coûtera rien pour te joindre à ceux dont tu parles. Ils sortirent, en effet, tous deux, détermines à se battre; et dans la colère où ils étaient, je ne doute point qu’un des d eux , et tous deux peut-être, n’eussent péris. Je me jettai entre eux pour les séparer. Pinard s’y opposoit, et me crioit de les laisser se battre; c’eût été pour lui un spectacle agréable. Schoenmaker lui-meme résistait âmes efforts. Enfin, cependant je vins à bout de l’arracher à son ennemi; et poussant celui-ci hors de ma tente , je lui dis de se retirer. Cette aventure m'affecta extrêmement ; j’y entrevoyois des suites très-fâcheuses, et ne pus dormir de toute la nuit. Si Bernffy avoit eu un premier tort dans la querelle, en plaisantant son adversaire , celui-ci s’en étoit donné bien d’autres par la violence de ¡ses emportemens. Obligé de ménager tous ceux avec qui et chez qui j’avois à vivre, j ’eusse désiré n’avoir à me plaindre, ni de Schoenmaker, du zèle et de la fidélité duquel je ne pouvois jusqu à ce moment que me louer, ni de Bernfry, dont les crimes peut-être étoient exagérés. Je pouvois me rendre maître et des uns et des autres, et leur imposer à tous la loi. Mais il eut fallu agir toujours, comme j'eusse dû agir dans cette circonstance; et de promeneur que je voulois être,. me rendre dominateur et chef dans ces contrées paisibles. C’étoit beaucoup trop d'embarras pour un chasseur d’oiseaux. J ’aimois mieux traiter cette affaire à l’européene, par des procédés civils et tout niais. I D’après mes maximes, je fis inviter , le lendemain matin, Pinard et son camarade, à venir déjeuner avec moi. Schoenmaker fut de la partie. Les têtes s’étoient un peu calmées pendant la nuit. D’ailleurs, pour ne pas les échauffer de nouveau, j ’eus soin qu’on ne servît ni eau-de-vie, ni v in ,1 et ma précaution eût tant de succès, D a
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