Pamitié que m’avoient vouée Serrurier et Gordon. Mes espérarices n ont point été trompées. J ’ai déjà dit que j’avois réussi, et rendu aux Colonies un homme honnête qui depuis est devenu un cultivateur très-heureux. Les deux époux reçurent mon offre avec cette effusion de recon- noissànce qu inspire à des aines sensibles un service important. Il leur étoit facile d arriver au vallon et à la maison de Schoenmaker, en. suivant seulement la trace des' roues de mes charriots. Tout cet entretien et ces éclaircissemens avoient employé une paitie de ma soiree. Avant de nous séparer, je fis servir aux voyageurs du thé et du café | ils me quittèrent pour aller reposer; mais en me quittant, leur visage rayonnoit d’une allégresse qui, je l’avoué, m’émut profondément. Pour moi, j allai de nouVeau me jeter sur le matelas de mon charriot. Mon mal de tête et mon mal-aise étoient beaucoup augmentes: Je ne pus dormir'de toute la nuit. Mais , quoique la cause de mon insomnie dût m’inquiéter, je m’abusai ëncore, et l’attribuai a la grande agitation que m’ayoit occasionnée cette singulière aventure. * . Le lendemain matin, les deux époux vinrent me dire que, confirmes encore plus que la veille , dans la résolution où ils étoient d accepter ma proposition, ils alloient se disposer à partir. Moi , afin d ajouter à leur bien-être tout ce que j ’y croyois propre, je leur donnai quelquès renseignemens sur les peuples du pays et Stir le parti qu ils pouyoient en tirer pour améliorer leur situation. Résolu néanmoins de hii rendre son sort aussi agréable qu’il etoit en moi , je voulois lui former un petit approvisionnement des choses qui alloient devenir nécessaires ou au moins utiles dans son établissement nouveau. Il me restoit encore-une certaine quantité de viandes salées, et particulièrement du dernier hippopotame. J ’en fis remplir une outre qu on porta sur son charriot. J ’ajoutai une- provision de quincailleries, du laiton pour des bracelets, des doux, de la poudre, du plomb, en un mot, tout ce que je crus capable de fournir à ses jouissances, à sa sûreté, à ses moyens de traite et d’échange. Enfin, je lui donnai quatre moutons , une chèvre prête à mettre bas, deux poulets, mâle et femelle , et le plus jeune de mes chiens. Ces bonnes, gens ne savoient comment me témoigner leur recon - noissance. « Je vous quitte, me dit le mari, et ne vous reverrai peut-être « jamais. Mais tant qu’il me restera un souffle de vie , je me souvien- « drai de vous et bénirai votre nom. J ’allois m’exposer à, périr dë « désespoir et de faim ; et vous m’avez arrêté sur le bord de Taie bîrne. J ’étois sans ressource , et vous avez fait mon bonheur. Béni « soit le jour où je vous ai rencontré ! Tous les ans, je viendrai « dans ce même lieu, au bord de cette même rivière , le célébrer «. avec ma famille, faire des voeux pour yous , et me rappeler un si « grand bienfait ! » J ’avois donné , en Afrique, le nom de Rivière de la Rencontre à cette petite rivière .sur laquelle j’étois campé quant le Colon dont je parle m’y trouva. Mais arrivé en Europe, je lui ai substitué le nom de Laborde, qui mit tant de soins à perfectionner la carte de mes voyages ; foible témoignage de reconnoissance que j’adressois à un ami dans le moment même où des hordes de brigands policés l’égorgeoient sur des tas de victimes sacrifiées à ce qu’il y a de plus v il, par ce qu’il y a de plus lâche. Tandis qu’on atteloit les boeufs de la famille, je faisois aussi atteler les miens. Mes douleurs augmentaient d’heure en heure. Déjà elles tn’avoient considérablement afïbibli, et je commençois à m’inquiéter. Que devenir, si j’allois être attaqué d’une maladie grave ? Il ne me restoit qu’une ressource ; celle d’arriver, s’il étoit possible , dans les Colonies , avant qu’elle se déclarât. Je fis donc partir à l’instant même ; et trop foible pour monter à cheval, je me couchai dans mon charriot. Mais il ne me fut pas possible de supporter la voiture. Mon mal de tête étoit si violent, et les cahots me faisoient tant souffrir , qu’il me fallut descendre et, malgré ma foiblesse,-monter un de mes chevaux. Ce fut ainsi que j ’arrivai au Kaussi, près du torrent qui, prenant sa source dans ces montagnes, porte le même nom qu’elles.
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