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au lever du soleil,nous apperçûmes un troupeau immense d éléphans, qui nous fît changer de ïésolution. Il y avoit au moins cent de ces animaux ; et plusieurs portoient des défenses dont la beauté tentoit beaucoup mes chasseurs. Comme Us se trouvoient à portée du fusil, nous leur envoyâmes quelques balles qui les firent fuir. Nous nous mîmes aussitôt à leur poursuite ; nqp que nous pussions nous flatter de les atteindre ; mais il devoit y en avoir de blessés , et nous espérions que quelques-uns peut-être le seroient mortellement. En effet, nous vîmes plusieurs traces de sang, qui nous servirent d'indices pour la poursuite , et que nous suivîmes pendant une grande partie du jour. Mais enfin le soleil commençant à baisser, je craignis de me trouver pris par la nuit au milieu du désert, et je regagnai l’Orange. . Les Sauvages disent que ce fleuve est traître pet rien effectivement n’est'plus perfide que ses crues subites. Souvent il est à ses plus basses eaux , et tout à coup, en moins de vingt-quatre heures, il monte -ko. maximum ses plus grandes inondations. Quelquefois aussi ses débordemens se soutiennent pendant six semâmes ou deux mois. Or, voilà ce que j’avois à redouter , et ce qui, si l’accident nous fut arrivé, eût rendu difficile mon retour au camp de l’habitation de Schoenmaeker , où j’avois laissé mes voitures. Je crus donc prudent de nous approcher au plutôt du rivage. A la vérité , éloignés comme nous l’étions, il nous fallut forcer de marche; ce qui , après les fatigues extrêmes d’une journée de courses , passée sans nourriture, devenoit un rude travail. Mais enfin , nous arrivâmes avant la nuit, et le lendemain nous nous remîmes à la nage pour repasser dans 1 île. En mettant pied à terre, nous allâmes droit à l'hippopotame, dans le dessein d’en enlever encore quelques provisions pour notre nourriture. Sur son cadavre étoit un magnifique vautour, occupé avec beaucoup d’empressement à le dévorer. Jamais je n’en avois vu un si grand, et l’on peut imaginer quelle fut ma joie. Mais cette joie aussi nuisit à la justesse du coup que je tirai pour 1 abattre En me pressant trop, j’ajustai mal, et ne fis que le blesser assez légèrement. Quoiqué déjà il se fut gorgé d’une grande quantité de chair, puisque quand je l’ëcorchai , j’en trouvai six livres et demie dans son estomac ; cependant sOn acharnement et sa .f aim étoient tels , qu’eii cherchant à s’envoler, il arrachoit encore sa proie avec le bec, comme s’il eût -voulu l’enlever toute entière avec lui. D’un.autre côté , le poids des viandes qu’il; venoit de dévorer l’appésantîssoit, et ne lui permettoit pas de prendre son vol si facilement. Nous eûmes, lè tems d’arriver sur lui avant qu’il se fût énlevé , et nous cherchâmes à l’assommer à c'oups de crosse. Il se défendit long-tems , avec toute l’intrépidité possible. Il mordoit'ou frappoit du bec nos fusils ; sa force étoit si grande encore tju’à chaque coup il en érafloit les canons. Il succomba pourtant. Je m’en vis maître ; et cette' possession, par le plaisir extrême qu’elle me causa , me dédommagea bien amplement de toutes les peines et fatigues que m’avoit causées ma petite excursion. Ce .vautour , qu’aujourd’hui je possède dans mon cabinet, et sans contredit le plus beau de tous ceux de son genre, formé une espèce entièrement nouvelle, qui, jusqu’à présent, a été absolument inconnue1. Il a plus de trois pieds de haut, et huit à neuf pieds d’envergure.' Quant à sa force;, s’il est permis d’en juger par ses nerfs et ses muscles, elle doit avoir été considérable ; et je suis convaincu que parmi tous les oiseaux carnivores il n’en est peut-être aucun qui soit plus fort ', pas même le fameux condor, vu par tant de voyageurs , et dont toutes les. descriptions diffèrent pourtant tellement, que sonexistence me paroît encore un problème. Ce qu’il y a du moins de très-certain -, c’est qu’il n’est dans aucun cabinet; connu, et que pas un curieux existant n’assure l’avoir vu j il paroît que chaque voyageur , ayant voulu parler du condor , tous l’ont vu ; les uns au Pérou , • d’autres dans la mer du sud, d’autres encore en Afrique , etc.,; enfin, on l’a rencontré par-tout. Et Buffori, si ingénieux en rapprochemens, le reconnoît dans chaque espèce de grands oiseaux , indiquée par les voyageurs, malgré le peu d’analogie qui se trouve dans leurs descriptions (1). (1) Voyez dans Buffon, l’article du condor , ./{¿si. nat. des oiseaux, tom. I, R r a


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