Page 170

27f 82-2

librement nos yeux autour de nous, et de pouvoir découvrir nos ennemis , en même tems qu’ils nous déçouvriroient. Au silence que gardoient mes gens, à la précipitation avec laquelle ils marchoient, je jugeai qu’ils n’étoient pas trop rassurés. Mais quand le jour parut, tout changea ; et alors leur jactance s’exhala en bravades extrêmement plaisantes. Ils raisonnôient entre eux sur les moyens de repousser ces Boschjesman qu’ils ne crai- gnoient plus ; sur les manoeuvres et les ruses à employer pour les exterminer tous, s’ils avoient l’audace de se présenter encore. Chacun enchérissoit de gasconnades sur son compagnon. C’étoit à qui affecterait d’affronter avec le plus d’intrépidité un danger dont ils se voyoient quittes. Fiers comme des miliciens qui ont fait une campagne, ils rappeloient les détails de cette nuit dans laquelle nous avions été attaqués, et demandoient à l’envi qu’elle se présentât de nouveau. Cette effervescence de courage se maintint cependant tout le jour. Dès que devant nous s’offroit un ravin, un monticule , un escarpement , aussitôt plusieurs se détachoient d’eux-mêmes, pour le reconnoître et s’assurer s’il ne récéloit point quelque embuscade.; et ils ne nous laissoient point avancer qu’ils n’en eussent donné le signal. Vrais enfans, dont la timidité même me rendoit la société plus douce , et que j ’jurais conduit aux deux pôles, en cent déserts, où je leur aurois garantis l’existence à laquelle ils sont attachés par-dessus tout ; heureux de ne point connoître nos désirs, qui nous rendent cette existence bien souvent amère et difficile à supporter. Pendant la halte que nous fîmes pour dîner, un des Sauvages de la horde, qui étoit allé à la découverte, vint m’annoncer qu’à quelques lieues sur notre droite, il avoit reconnu un des coudes que forme l’Orange dans son cours, et apperçu les arbres qui bordent ses rives. Cette nouvelle répandit la joie dans la troupe. On reprit la route gaiment, sans changer notre première direction ; et vers les quatre heures du, soir, nous arrivâmes au fleuve, après avoir fait dix lieues daps notre journée. En ma qualité de. maître, je commençai par choisir un lieu avantageux pour le campement de ma petite caravane. Au milieu des arbres. du rivage, nous eussions couru trop de risques , si dans la nuit les Boschjesman fussent venus nous attaquer. A cinq ou six cents pas. en-deçà étoit un bouquet d’arbrisseaux, assez considérable, et composé particulièrement d’ébéniers. Ce buisson , épais et touffu, me parut propre à nous servir d’abri. Je fis abattre, aux environs, tous les plants qui pouvoient borner notre vue; et cet abattis n’exigea pas beaucoup de peine , parce que tout y étoit euphorbes , grands ou petits. Puis, tandis que quel- ques-ups de mes gens alloient, de côte et d autre, coupçr du bois pour alimenter les feux de la nuit, d autres, sous ma direction , nettoyèrent l’intérieur du fourré et y pratiquèrent une place, capable de nous contenir tous.; Les bords extérieurs furent fortifiés avec des branches entrelacées, qu’on garnit de nattes et de peaux. Enfin , pour nous garantir des flèches qui eussent pu tomber verticalement sur nos têtes , je fis étendre, en forme de dais , ma ca- nonière sur des piquets, et j’en formai ainsi un toît sous lequel nous étions tous à l’abri. Avec ces précautions, nous n’avions , au milieu de notre fort, aucune attaque à craindre pour la nuit, et je pouvois y braver tous les Boschjesman de l’Afrique. Les boeufs furent attachés circulairement dans l’intérieur de l’enceinte, et si près de nous que nous les touchions presque avec la main. Défendus ainsi, il étoit impossible de songer aies enlever. Mais aussi leur voisinage eut un inconvénient. Le bruit qu'ils faisoient par leurs mouvemens divers, l’inquiétude qu’ils montraient de tems en tems et qui sembloit nous annoncer on des Boschjesman ou des bêtes féroces, nous tinrent tellement en éveil qu’il ne fut possible à au- * cun de nous de fermer les yeux. Notre nuit, quoique fort inquiète, se passa tranquillement. N ous n’entendîmes que des hiennes et des j ackals, dont les cris, dans la circonstance présente, étoient rassurans, en ce qu’ils nous annon- çoient qu’il n’y avoit pas de Boschjesman dans la plaine. Malgré ce motif de sécurité, je ne voulus néanmoins me remet/


27f 82-2
To see the actual publication please follow the link above