Page 164

27f 82-2

ment souffert. Mes Sauvages allèrent chercher des herbes, qu'ils broyèrent et qu’ils appliquèrent en cataplasme. Mai, faute de mieux, j ’arois imaginé d’ordonner quelques éclisses , pour assujettir son bras ; mais ils employèrent un .moyen bien plus ingénieux , et dont la simplicité m’étonna. Ils choisirent un j eune arbre, à peu près de la grosseur du membre fracturé, en détachèrent l’éGorce par une fente longitudinale ; puis, entrouvrant cette sorte d’étui, ils y placèrent le bras, et assujettirent l’enveloppe avec une liane. J ’admirai la promptitude et la nouveauté de l ’invention j car j ’igno- rois que depuis quelques années elle étoit connue en Europe , et que les gens de l’art y employoient, pour le même usage et avec un succès égal, l’écorce du chêne : ainsi la nature, si simple et si bienfaisante, est toujours la dernière à laquelle on recourt ; tandis qu’il faut des siècles de lumières et d’études immenses pour apprendre à l’oublier un moment. Aux approches de la nuit, je fis allumer de grands feux , qui, disposés en cercle , à plus de deux cents pas de distance du centre, f’ormoient autour de nous une circonférence de plus de douze cent? pas d’etendue. Cette brillante clarté , en offrant à notre vue un champ très-vaste -, nous garantissoit des surprises 5 et d’ailleurs, dans le cas où nos ennemis viendraient nous attaquer, elle les tenoit à un tel éloignement que nous serions hors de la portée de leurs flèches, ou au moins hors de cette portée qui permet de viser et qui devient dangereuse. Ma canonnière étoit dans le milieu de cette large enceinte ; et indépendamment des autres feux, elle en avoit un particulier. Vers les dix heures du soir , celui de nos blessés dont j’avois désespéré , expira, et sa mort, par les tristes réflexions qu’elle fit faire à mes Sauvages, répandit parmi eux une sombre et morne tristesse. Je me retirai dans ma tente , pour me livrer à la mienne j mais bientôt mon chien, couché à côté moi , montra des inquiétudes extraordinaires , qui m’alarmèrent. Je prêtai l’oreille, et j ’entendis le rugissement d’un lion. Sans doute c’étoit celui de la veille qui nous avoit suivis à la piste. On l’écarta par quelques décharges , et nous ne l’entendîmes plus! Quelques momens après , les alarmes recommencèrent, par le mouvement désordonné des bestiaux. Ils se précipitoient les uns contre les autres avec une rumeur épouvantable , s agiraient violemment et beugloient d’une manière affreuse. D’abord nous crûmes que c’étoit le lion qui se rapprochoit, et l’on fit quelques décharges pour l’écarter de nouveau ; mais leur effroi, qui continuoit toujours , nous annonçoit une autre sorte d’ennemis. J ’entendois en même tems , sur la partie extérieure de ma canonnière ,■ un certain bruit, comme de quelque chose qui venoit y tomber et la frapper. Quoique mon chien en montrât beaucoup d’inquiétude , je faisois peu de compte de ses avertissemens, parce que souvent il m arri- voit d’entendre les mêmes secousses, occasionnées par de gros scarabées qui se jetoient étourdimeiit sur ma tente. Je restai tranquillement couché sur ma natte. Mais ayant senti tout à coup le manteau qui me servoit de couverture frappé par je ne sais quoi, j’y portai la main, et fus fort étonné de ramasser une flèche. Il étoit évident que nous étions attaqués , et que les Boschjesman , après avoir profité de la nuit pour nous suivre, tiroient sur nous. Jô criai aux armes ; et dans un instant toute ma troupe fut en état de dé» fense. Mais comme le feu particulier, qui brûloit près de ma tente » portoit autour de nous trop de clarté , et qu’il nous exposoit trop visiblement aux coups, je le fis éteindre. Par cette suppression de lumière , nous nous trouvâmes dans une sorte d’obscurité j e t , a la faveur des feux qui éclairaient notre enceinte , nous pouvions , d un coup-d’oeil, voir les ennemis qui s'approcheraient de nous. Aucun d’eux ne se montra. Néanmoins ils continuoient à envoyer, de tems en tems, des flèches sur ma tente. Mes gens vouloient l’abattre ; mais loin de le permettre, je m ap- plaudissois, au contraire, que sa blancheur la rendit visible et qu’elle servît de but aux tireurs. Pour n’avoir rien à craindre d eux , nous n’avions qu’à nous en écarter et nous tenir à une certaine dis- N n %


27f 82-2
To see the actual publication please follow the link above