les uns des autres. Je mis en tête du détachement Klaas avecdeüx fusiliers ; moi, avec le reste de ma troupe, je formai l’arrière - garde ; ‘ et dans cet ordre nous gagnâmes la plaine. Je m’attendois à retrouver les deux guides Kaminouquois dans l’endroit où nous les avions laissés la veille; mais au moment où. nous approchions, j’entendis tout à coup pousser, à la tête de la troupe, des hürlemens lamentables, qui me glacèrent d’effroi. J ’y courus aussitôt, et vis un spectacleaffreux, dont l’image hideuse me fait encore frissonner à cette heure. Ces deux malheureux Sauvages, qui si généreusement s’étoient offerts à me conduire , étoient gissans sur la terre , presque morts, et nageant dans leur sang. Ma première idée fut qu’ils avoient été découverts par quelques- uns de ceux de la horde, et immolés à la vengeance des soupçons; mais en approchant de plus près, je fus bientôt.désabusé. L’un fles deux avoit la mâchoire inférieure mordue, brisée , et emportée presque en entier. Les lambeaux qui restoient encore et sa langue , à ■découvert, pendoient tout sanglans sur son cou, et sur sa poitrine. Il étoit mourant, et ne donnoit plus d’autre signe de vie que le battement de l’artère. Mais l’enflure prodigieuse "de sa tête, l’altération horrible de son visage, le déplacement de ses yeux hors de leur orbite l’avoient tellement défiguré qu’il ne conservoit aucun dès traits humains, et qu’il, révoltoit ma vue , en même tems qu’il déchiroit mon coeur. Son camarade avoit plusieurs morSures ou déchirures sur le corps, et le bras cassé, ou plutôt broyé en deux endroits. Néanmoins son- état n’étoit pas à beaucoup près aussi fâcheux ; et il pouvoit même parler. Nous l’interrogeâmes sur la cause de son malheur ; il nous apprit qu’après que nous les eûmes quittés , ils avoient éteint leur feu pour n’être pas découvert par les Boschjesman ; et que s’étant endormis après, à quelques pas l’un de l’autre , peu de tems après il avoit été reveillé par les cris de son camarade, au secours de qui il vola sur le moment même, et qu’il trouva se débattant contre les griffes d’un lion, auquel il porta un coup de sagaie dans le flanc. Mais l’animal mal se sentant blessé , se jeta sur lui et le réduisit, avant de fuir, dans'l’état où nous le voyons. Ce récit me consterna ; èt ce qui augmentoit encore.mon amertume et mon désespoir , c’est qu’en ayant accepté les services de ces deux tristses victimes , j’étqis la cause innocente de leur mort. Oh ! combien je ’gémis alors de n’avoir d’autre secours à porter à ces malheureux expirans, que de les achever impitoyablement sur la place , et de terminer ainsi leurs souffrances. Cette barbarie néanmoins me répugnoit horriblement pour 1 un d’eux. Je déchirai ma chemise , et j’en fis des bandages avec lesquels je rapprochai et soutins , le mieux qu’il me fut possible , les plaies du moribond. Je traitai de même le bras de son camarade. Mais comme 'il eût été dangereux pour nous de rester trop long- tems dans un lieu si voisin de la horde, je crus prudent de m en éloigner au plutôt. Je fis placer les deux blesses , chacun sur un de mes chevaux, et je marchai à pied , en continuant de conduire l’arrière-garde ; et heureusement, mon camp étant, comme j e 1 ai dit, sur le côté de la rivière où nous nous trouvions , nous n’avions plus à la traverser. Je me dirigeai droit sur notre camp. Après cinq.lieues de marche, ayant trouvé une plaine découverte , où je ne craignois point ' que ma troupe fut attaquée par surprisé, je m’y arrêtai, et pris le parti d’y passer la nuit, par pitié pour nos deux malades. Le mouvement de, la route avoit empiré leur état. Déjà l’un d’eux éprouvoit ce râle funeste , qui.est le signe d’uné mort prochaine et qui ne me laissoit aucun espoir pour sa vie. Je le fis mettre à terre, et je crus qu’il falloit lui laisser une agonie tranquille. Quant à son camarade , les secousses du cheval, en renouvellant ses douleurs, lui faisoient pousser, en route, des cris aigus qui perçoient l’ame ; et cent fois il 111’avoit conjuré de lui tirer un coup de fusil et de le délivrer de sa pénible existence. Je levai l’appareil de son bras , et je vis , par le gonflement et ¡’inflammation qu’y avoient causés les ligatures, qu’il devoit, en effet, avoir extreme- Tome II. N n
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