4e leur horde, ils me demandèrent la permission de me quitter ; et moi, assuré de leur faire plaisir, je voulus les y accompagner, et les remettre, pour ainsi dire , entre les mains de leurs camarades. Ge n est pas tout. Curieux -de connoître l’effet que produiroit dans le kraal la surprise de notre retour, je défendis que personne n.e prît les devants pour m’annoncer ; et l ’on étoit effectivement si éloigné de nous attendre, notre arrivée fut si subite et si inattendue qu’en nous voyant tout le monde resta immobile d’étonnement. Au moment de stupeur succédèrent les cris, l’àgitation , les hur- lemeps , et tous ces mouvemens désordonnés q u i, chez les Sauvages, démontrent les transports de leur joie. Bientôt tout le kraal se ressentit du désordre de cette exaltation. Chacun s’applaudis- soit de retrouver des camarades , des amis , des parens qu’on avoit cru perdus et qu’on désespérait de revoir jamais. On les presscit, on les accabloit de caresses ; et ceux-ci, avouant bonnement que je les avois conduits au bout du monde , augmentoient encore l'enthousiasme, en racontant les merveilles dont ils avoient été témoins. L ’intérêt qu’éxcitoit leur récit attirait autour d’eux la foule. Interrompus à chaque instant par vingt personnes qui leur fkisoient chacun une question différente, ils reprenoient leurs discours, ajou-~ talent, exagéraient, confondaient les aventures et les circonstances, et mettaient dans leurs récits un désordre qui, par cela même qu’ils étoient incompréhensibles , excitaient un ravissement et un extase universels. L ’effèryescence de ces sentimens dura tout le jour et ne fut interrompue que par les divertissemens bruyans de la nuit. Je ne me flattais guère de goûter les douceurs du sommeil au milieu de gens dont le tumulte et les cris sont toujours en raison du plaisir qu’ils ressentent, et chez qui une fete a l'apparence d’alarme et de combat. Ainsi, loin de songer à me retirer dans ma tente , je restai parmi eux et ne m’occupai que de jouir du spectacle qu’ils me présentoient. Mais c’étoient sur-tout les narrateurs qui m’intéressoient de préférence. Assez instruit de leur langue pour entendre ce qu’ils disoient, je m amusois infiniment de leurs récits. Quoiqu’ils ne racontassent que des évcnemens qui m’étoient connus, néanmoins leur génie brut les circonstançioit par des réflexions et des détails, si extraordinaires; il les ornoit d’images poétiques si sublimes et si extravagantes ; enfin , il leur donnoit un air si bisarre et si nouveau qu’en les entendant je croyois écouter des fables. Jamais , jusqu a ce moment, j e n’avois goûté un pareil plaisir ; et j ’avoue franchement que de toutes,(les nuits, que m’ont données mes deux voyages, celle-ci a été sans contredit l ’une des plus agréables. Au lever du soleil, tandis que, tout le monde se retirait pour dormir , moi je pris mon fusil, et j ’allai chercher fortune sous les arbres du voisinage. Je n’y trouvai rien qui pût servir à augmenter ma collection; mais le hasard m’y fit faire un coup tres-extraor- dinaire , et dont il n’y a peut-être aucun chasseur qui puisse se: glorifier. Je m’étois assis au pied d’un arbre; mon fusil entre mes jambes droit devant moi, la crosse appuyée contre terre, et une fnain sur la détente. De l ’autre main je tenois une feuille sur le tranchant de laquelle je sifflois à la manière des oiseleurs, pour attirer les. petits oiseaux ; une espèce de rouge-gorge vint effrontément se poser sur mon chapeau, de là sautant sur la bouche de mon fusil , un pied sur chaque canon, elle resta immobile et très - attentive au bruit de la feuille que j ’agitais ; ramage nouveau pour elle î Dans des contrées désertes , un animal qui n’a point encore vu d’hommes, peut, par inexpérience, ne pas s’effaroucher , quand il enverra un; sur-tout si cet homme est en repos et sans mouvement. Quelque fût le motif de la familiarité de c e lu i-c i, sa hadiesse m’étonna tellement que , machinalement et sans réflexion , ayant appuyé la main sur. la détente, je fis partir le coup. Je crus que l'oiseau serait haché en mille pièces. Quelle fût ma surprise de le voir enlevé à trente pieds au-dessus de ma tête, dans une direction presque droite , et retomber à quelques pas de moi ? Je courus le ramasser. Les bouts des pennes etoient seulement un peu brûlés; il me parut haletant et très-effrayé ; mais peu à peu il
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