Le plus éloigné des fuyards étoit le boeuf porteur ; mais il venoit ■de s’arrêter, parce qu’il se sentôit encore gêné dans sa course par des courroies ; et ne pouvant réussir à s’en dépêtrer, il se débat- toit et mugissoit avec fureur. Je piquai vers lu i, dans le dessein de le repousser du côté de la caravane. Il ne répondit à mes efforts que par un coup de corne qu’il porta dans le flanc de mon cheval, et qui me déchira la jambe. Mais le pis de l ’aventure , c’est que le .cheval, se jettant sur le côté par un saut de mouton, me lança en avant à dix pas de lu i, et prit la fuite. Heureusement mon arme, dans ma chûte, ne m’échappa point des mains ; et ce bonheur me sauvâ la vie. Le boeuf, la têfe baissée, se portait sur moi pour me percer de ses cornes. J ’armai mon fusil , fit par un des plus heureux coups que j ’eusse tirés jusqu’alors, j ’étendis l’animal à,quelques pas de moi. Il appartenoit à l ’un des Kaminouquois de ma suite. En ce moment , son maître accouroit à perte d’haleine pour le saisir et le ¿ramener 5 et fjt n’arriva que pour lui voir rendre les derniers soupirs. Ce spectacle jetta le bon homme dans la désolation. Il se mit a pleurer comme un enfant, et à faire l’éloge de son boeuf, qui étoit ïe meilleur et le plus chéri qu’il eût jamais possédé, disoit-il, et •dont il regretteroit la perte toute sa vie. Cependant, quand je lui eus promis de lui en donner un autrç I ou de lui payer le sien d’après son estimation, ses larmes tarirent .tout-à-coup , fit ses lamentations cessèrent. Cet homme inconsolable se consola même si promptement qu’ayant appelé quelques-uns de ses camarades, il se mit avec eux'à écorcher son meilleur ami et à le couper en quartiers , pour commencer à s’en régaler dès. le jour même. Pendant ce tems, je faisais ramasser mes effets épars de tous côtés sur le terrain. Cette opération employa beaucoup de tems , et elle fut même si longue que dans notre journée nous ne pûmes faire que cinq lieues. La journée du lendemain ne nous avança guère davantage ; mais ce fut par un accident d’un autre genre , par l ’effet d’un de ces vents affreux de sud-est, qui sont l ’un des phénomènes les plus étonaajxs et l’un des plus redoutables fléaux de l ’Afrique,. II s’annonça dès le matin ; et bientôt, augmentant d’intensité de moment en moment, il nous apporta des nuages de sable et de gravier qui nous aveugloient et nous empêehoient d’avancer. Sa violence, accrue encore par la résistance que lui opposoient les hautes montagnes que nous avions à l ’est et.à travers lesquelles il etoit oblige de s’engouffrer, devint telle enfin qu’il fallut faire halte. On déchargea les boeufs ; on mit tous nos ballots en tas , et on les couvrit de grosses pierres pour empêcher qu’ils ne fussent emportés. Quant à nous , il nous fut impossible de dresser une tente : ainsi , sans asile etsaHsabri, notre seule ressource fut de rester assis ou, couchés par terre , ne respirant que du sable et aveuglés par lu i. Le soir, nous nous entourâmes, à notre ordinaire , de grands feux ; mais le vent n’ayant point diminué, le bois, fut si. vîte consumé que nous fûmes contraints de nous en passer pendant les trois quarts de la nuit. Cependant, nous avions tout àcraindre des bêtes féroces , et nous en. avions apperçu. dans notre marche beaucoup de traces. Vainement même eussions-nous tenté de les écarter par. le bruit de nos fusillades ;, le mugissement du vent étoit si considérable qu’il-les.eût étouffées et rendues mutiles. Cette nuit se passa dans ces agitations et ces transes. Nous attendions avec impatience le retour du soleil ; mais loin que sa pré — sence rétablit le calme dans l’atmosphère , la violence des vents ne- fit que s’accroître encore et redoubler de fureur, à mesure qu’i l s’éleyoit sur l ’horison, et quoiqu’il n’y eut dans l’air aucun, nuage,, cependant il étoit obscurci par des tourbillons,de sable q u i, pressé s les uns par les antres et passant au-dessus de nos têtes, obs- curcissoient l ’atmosphère. Ce que nous éprouvions n’étoit ni un orage , ni une tempête , ni un- ouragan ;. c’étoit un vrai et. épouvantable typhon. Paterson , qui en a* éprouvé un pareil au-delà de l ’Orange , dit qu’autour de lui des arbres furent déracinés. H n’y avoit point d’arbres auprès de nous ;, mais j ’y voyois le vent fonder , en tourbillonnant, des cavités profondes , enlever au loin les terres; et les sables, et les laisser retomber en pluie sur nous ; tout ce que nous apprêtâmes pour notre;
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