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pour là porter jusqu’au kraal, où. l’accompagnoit, avec exclamation, toute la horde : lui-même sembloit marcher en héros. J ’observai ce nouvel Alcide , et tout éloigné que je fusse des lions de Né- mée, le rapprochement étoit si frappant, que je me surpris marchant d’une façon plus grave au milieu de cette fête véritablement renouvellée des Grecs. Si mon Klaas n’obtint pas tous les honneurs du fils d’Alçmène, c’est qu’apparemment .un dieu plus puissant.avoit dirigé ses coups. J ’étois pour quelque chose dans le plan d’attaque, et je fus, en effet, 6omblé d’éloges et de remercimens. Le chef me pria d’accepter, au nom de la horde et pour gage de sareconnoissance, quatre moutons et deux boeufs. Je pris les moutons, que je fis égorger à l’iustant pour ajouter au festin qu’alloit fournir là lionne ; mais j’abandonnai les deux boeufs à Klaas, qui effectivement les avoit bien gagnés. D’abord il les refusa et il s’obsti- noit même à me les laisser. Mais quand je lui eus remontré qu’ils étoient donnés à la mort dé la lionne, et que cette mort étoit son ouvrage , il n’hésita plus à s’en emparer. t e festin fut d’autant plus agréable qu’il étoit composé, en grande partie ', de l ’animal qui avoit causé tant de dégâts. Je ne partageois point assurément le goût des convives pour cette chair. Cependant j ’essayai d’en goûter, et la trouvai inférieure à celle du tigre. Après le régal vinrent les divertissemens. On dansa, on chanta toute la nuit ; et ces fêtes bruyantes , qui ne me permirent pas de me livrer un instant au sommeil, me rappelèrent aussi les jeux néméens. Pendant la nuit, je n’entèndis le rugissement ni des lionceaux , ni de leur père. J ’en attribuois la cause au bacchanal affreux que faisoient mes Sauvages; et réellement, quand tous les lions de la contrée se fussent réunis dans la remise pour y gronder ensemble ; je ne sais si leurs voix n’eussent pas été couvertes par le fracas et le tintamarre de la fête. Mais ce silence avoit une autre raison. Le mâle , effrayé des dangers qu’il venoit de courir, avoit profité des ténèbres pour se retirer avec sa famille ; et le matin, quand nous revînmes lui donner la chasse, nous trouvâmes creux-buisson. Dès les premiers pas que firent mes chiens dans le fourre, je m ap- peiÇus, à la manière dont ils quêtaient, que nous arrivions trop tard. Néanmoins, afin de m’èn assurer, je fis tirer quelques coups de pistolet; dans l’espoir que les carnivores, s’ils y étaient encore, effarouchés du bruit, s’y feraient bientôt entendre , ou par leurs rugissemens, ou par l’agitation de leur course. Cette précaution n’ayant rien produit/nous pénétrâmes avec circonspection dans le fort, et n’y trouvâmes plus que les vestiges du dégât qu’avoit fait cette famille affamée." De tous côtes on voyoit des os épars ou en tas ; et le spectacle de ce charnier, en rappelant à la horde les pertes qu’elle avoit faites, mit chacun dans lè cas de raconter et de déplorer les siennes. Moi, pendant ce tems , je m’occupois de chercher les traces des l i o n c e a u x et de leur père, pour juger de la grosseur de l’un, ainsi que du nombre et de la grandeur des autres. Quoiqu’il y ait des exemples de lionnes qui d’une seule portée ont eu troispetits, celle-ci nous parut n’en avoir donné que deux; mais ils s’annonçoient pour être de la taille de mon grand chien Jager qui m’atteignoit à la ceinture , et par conséquent ils étoient déjà redoutables et pouvoient faire beaucoup de mal. Quant au père , à juger par l’empreinte de sa patte, qui était d’un tiers plus grande que celle de la patte de sa femelle , il devoit être de la plus grande taille. Je ne sais quel est le critique qui s’étant égayé à donner sur moi quelques détails dans le Jou rn a l de P a ris , 2.5 mai 1788 , après m’avoir mis en présence avec un lio n , dit pompeusement que nous nous mesurâmes de notre regard superbe , et que ma courageuse in trép id ité le détermina enfin a la fu ite . L ’attitude est belle assurément ; mais en me prêtant un regard si puissant,' il faudrait encore m’avoir donné la force et la massue d’Alcide ; et quoi qu’en pense mon critique, il est certain qu’à moins d’être un extravagant ou en délire, la première réflexion que fait un homme, quelque courageux qu’il so it, quand il se trouve devant un ennemi formidable, c’est de comparer ses forces avec celles


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