délivrer d’un fléau redoutable, et ne doutoit pas que j e ne réussisse , si je l’entreprënois. Des deux moyens que ces bonnes gens m’offraient de les obliger , il y en avoit un qui n’étoit point en mon pouvoir ; celui du tabac. Depuis un mois, mon monde étoit à la demie ration. Il ne m en restait même pas pour fournir à la consommation qu’exigeoit le reste de la route , et je ne voulois pas que, par une libéralité mal entendue , les miens eussent à me reprocher de les avoir privés de ce qui leur appartenoit, pour en gratifier , à leurs dépens , des étrangers. Il m’etoit plus facile de servir la horde dans ce qui regardoit les deux lions ; mais ceci demandoit beaucoup de circonspection et de prudence. Leur obstination à rester dans le fourré , malgré tout ce qu’on avoit tenté pour les en chasser, me faisoit soupçonner qu’ils a voient des petits; et ceite circonstance rendoit l’attaque extrêmement dangereuse. Ces animaux, déjà si formidables dans toute autre circonstance , sont dans celle-ci d’une férocité à laquelle rien ne résiste. Animés par le besoin de défendre et d’alimenter leur famille, ils ne rédoutent plus aucun danger, et résisteraient à une armée entière. Ce n’est plus chez eux du courage seulement, c’est de la fureur et de la rage. Néanmoins, je m’engageai à les attaquer dès le lendemain , et promis , sinon de les détruire, au-moins de les forcer à s’éloigner. Mais , vu l’épaisseur du fourré et la difficulté de l’attaque , j’exigeai qu’indépendamment de tous les hommes qui faisoient partie de ma caravane , et que je comptais employer, tous ceux de la horde se joignissent à moi. Pendant la nuit, nous nous entourâmes de très- grands feux, et nous fîmes, de tems en tems, des décharges de notre mousqueterie. Cesprécautions étoient inutiles. Les deux carnivores avoient à dévorer les restes de leur boeuf de la veille, et ils ne parurent point, mais se firent entendre pendant une grande partie de la nuit. A l’aube du jour , déjà las hommes de la horde étoient sur pied , et tous armés de flèches et de sagaies , n’attendoient plus que mes ordres pour voler au combat. Les femmes elles-mêmes et les enfans youloient être de la partie ; moins, à la vérité, pour combattre que pour satisfaire leur curiosité et jouir de notre victoire. J entendois les lions rugir encore dans leur fort ; mais bientôt le jour les fit taire; le soleil parût, et le profond silence qui alors régna autour d’eux fut pour nous le signal du départ. Le fourré pouvoit avoir environ deux cents pas de longueur sur soixante de large. Il occupoitun espace plus enfoncé que le terrain voisin ; de sorte que, pour y pénétrer, il falloit descendre. Du reste , tout y étoit épines et buissons, à l’exception de quelques mimosas qui s’y élevoient vers le centre. . ' _ . Ces arbres , si j’avois pu y aborder , m’eussent présenté un point d’attaque favorable. Grimpé sur leur cîme , je m’y serais vu en sûreté , et j’aurais pu tirer à mon aise les deux animaux ; mais il eut été très-imprudent à moi dé traverser le fourré pour gagner les arbres , ne connoissant pas précisément le gîte où ils s’étoient réfugies , et pouvant par conséquent être pris àu passage. Ne pouvant donc attaquer les deux formidables bêtes dans leur retranchement, il s’agissoit d’essayer de les faire sortir du fort ; car , comme il étoit difficile , et même impossible, d’oser pénétrer jusqu a eu x , attendu que les broussailles étant fort elevees et tres-toufï’ues , mes tireurs n’auroient pas eu beau jeu pour ajuster et manier les longs fusils dont ils étaient armés. Je me décidai donc à les placer , ainsi que d’autres Sauvages, de distance en distance, sur les hauteurs tant autour du bois , de manière que les lions ne pussent gagner la plaine sans êtrè apperçus , persuadé qu’aussitôt que nous les aurions en rase campagne , nous nous trouverions les plus forts et ne tarderions pas à être victorieux. ^ Aucun Sauvage n’osant pénétrer dans le bois , sous imaginâmes d’y faire entrer de force, tous les boeufs de la horde. Quand nous fûmes tous postés et munis de nos armes prêtes a tirer , on poussa les boeufs en avant ; et à force de coups, ainsi que par des cris, nous les forçâmes d’entrer dans le fourré. En me me tems mes chiens donnèrent ; et pour effrayer les lions, et les obli- H h a
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