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marches excessives, Se ressentaient de l ’abattement général. Mes chevaux boitolent; et dans l ’impossibilité de m’en servir, j ’avois été obligé de faire la route à pied. J ’ai déjà dit que la fatigue des boeufs étoit telle qu’il m’avoit fallu en abandonner deux. Mes chiens avoient la plante des pieds douloureuse et ensanglantée. Non seulement ils étoient devenus indifférons pour la quête du gibier ; mais ils le voyoierit lever devant eux, sans faire un pas pour le poursuivre. Je ne pouvois plus ; Comme auparavant, les mettre dans mes char- riots, puisque je n’avois pas de voitures. C’étoit une chose pitoyable que de voir leur marche éreintée. De tems en tems ils s’arrê- toient pour se lecher les pieds ; et ce soulagement momentané , en .attendrissant la peau, les leur rendoit plus doulourenx encore. Notre nuit n eut-d autre événement que la découverte de plusieurs feu x , que nous apperçûmes en avant sur les montagnes, et q u i, par les idées d’espoir qu’ils nous annonçoient, me donnèrent quelque joie. Mes Houzouanas sur-tout en témoignèrent leur satisfaction , parce qu’ils les crurent d’abord des signaux de leurs camarades. Mais après bien des observations, n’y ayant point reconnu leur alphabet et leur langue, ils s accordèrent à les regarder comme des feux nocturnes, allumés par quelque horde voisine qu’ils ne connois- soient pas. Le repos et le sommeil d’une nuit n’avoient pu suffire pour rétablir les forces de gens aussi harassés que les miens. Le .matin, ils sè plaignirent tous de courbature ; et je crus, un moment, qu’il me faudroit rester au lieu où j'étois campé. Mais leur ayant îepresente qn iln e nous falloit plus guère qu’une journée pour gagner les montagnes et la horde dont nous avions apperçu les feux, et que je leur promettais que nous y ferions une halte de plusieurs jours, afin de leur donner le tems de se reposer, ils reprirent courage et retrouvèrent des jambes. Vers les cinq heures après midi, nous arrivâmes dans le voisinage de la horde ; les boeufs et les chiens , sentant l’eau , se détachèrent de nous à l ’instant; et prenant le galop, sans qu’on pùt ni les rappeler ni les retenir, ils se portèrent à toutes jambes yers le kraal. Leur odorat ne les avoit point trompés. Us trouvèrent effectivement des puits ; mais ces puits etoient fermés, et ils se virent réduits à flairer et à tourner tout au tour, sans pouvoir s’y désaltérer. On se représente sans peine quelle dut être la surprise de la horde à l’apparition subite de-tous Ces animaux. Mais ce fut'bien une autre alarme quand nous parûmes tous, et qu’elle vit près d’elle une troupe de ces Houzouânas si redoutés, ayant au milieu d’eux un Blanc , moins formidable peut-être , mais plus effrayant encore pour des yeux qui n’avoient jamais vu des hommes blancs. Consternés et stupéfiés à la vue de ce spectacle, ils n’avoient ni la force de fuir, ni l ’assurance d’avancer vers nous. Pour les tirer de cet état pénible, j ’allai à eu x ; et sans paraître m’appercevoir de leur embarras , je leur fis demander s’ils avoient quelques personnes infectées de cette maladie qui venoit de nous chasser des montagnes dé l’ouest. Ma question les glaça d’effroi. Ils connoissoient par expérience, ainsi que mes Namaquois , cette épidémie désastreuse. Cependant ils n’en étoient point attaqués pour le moment; et en conséquence, d’après leur réponse, je fis dresser mon camp près d’eux. Depuis quatre jours, mes animaux avoient fait plus de quarante lieues, sans avoir ni bu ni mangé qu’nne seule fois à la horde malade. Je trouvois des pâturages dans celle-ci, et je me proposois, suivant mes promesses, d’y rester quelques jours pour leur donner le tems de se refaire. Mais pour cela je désirois de gagner son amitié et de me lier avec elle. O r, c’est ce qui d’abord me parut d’un succès difficile. Ni dans l ’après - dîner, ni même dans la soirée, pas une seule personne du kraal ne vint à mon camp; et le sentiment que cette conduite annonçoit me surprit d’autant plus qu’aucune nation sauvage ne me l’avoit encore témoigné. Etoit-ce moi, ou les Houzouânas qu’ils appréhendoient ? Craignoient - ils qu’arrivant d’un canton de pestiférés , nous ne leur apportassions les germes de la maladie? je l ’ignore; mais à coup sûr cet éloignement supposoit de la méfiance ; et cette méfiance étoit même telle que, pendant la n u it, ils délibérèrent s’ils ne se retireraient point dans les montagnes.


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