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V O Y A G E m’avoit point mis à portée d’en voir. Je restai long-tems à examiner celle-ci. A chaque instant, il en sortait des volées qui se répandoient dans la plaine ; tandis que d’autres revenoient portant dans leur bec les matériaux nécessaires pour se construire un logement ou pour réparer le leur. Chaque couple avoit son nid dans l’habitation commune ; c’était une vraie république. Nous côn- noissons plusieurs espèces d’insectes qui vivent ainsi dans une même demeure et qui montrent des habitudes sociales. Il est même, de ces associations chez certains quadrupèdes ; mais jusqu’à présent on n’en connoissoit point encore chez les oiseaux. Au reste, j’ai eu plusieurs fois lieu d’étudier ceux-ci, et j ’en parlerai ailleurs plus au long. Du tertre au grand nid, nous allâmes camper et passer la nuit, cinq lieues plus loin, à la Fontaine-des-Zèbres. Ce mot fontaine m’annonçoit de l’eau ; mais cette eau étoit si salée qu’aucun de nous ne voulut en boire, et si peu abondante qu’on ne put y faire désaltérer mes boeufs. La journée suivante fut beaucoup plus pénible encore, parce que les sables , en devenant plus fins, devenoient en même tems plus mobiles. On avoit mis quatorze boeufs à chaque voiture, on relayoit d ’heure en heure , et néanmoins les roues enfonçoient si avant, la chaleur étoit si accablante , ils étoient tellement afïoiblis par la fatigué et par le manque d’eau et de nourriture, qu’ils avançoient très-peu. Moi-même, soit effet physique de la température, soit effet moral de l’ inquiétude affreuse que me donnoit cette nouvelle et triste situation, je me sentais abattu et sans courage ; l'aspect de cet horison silentieux et sans bornes fatiguoit cètte fois-ci mon imagination d’un rêve trop pénible et trop long. Heureusement quelques heures de marche nous rendirent l ’es- qjoir. La plaine changea tout à coup ; le sable et le sol se montrèrent couverts d’un gramen particulier, qu’on nomme herbe des Boschjesman, et dont ces Sauvages mangent la graine. Les collines elles-mêmes avoient un aspect' moins nud ; on y découvrait quelques petits arbustes rabougris parmi de grands aloès dichoto- E N A F R I Q U E, ' 17 mes, allant ça et là entre les rochers micacés , dont les reflets brillants éblouissoient nos yeux ; la plaine était parsemée de gros morceaux de quartz, blancs comme la neige, et dont la base ou partie qui touchoit à la terre avoit la teinte et la demie transparence de la prime d’éméraude. Probablement le sol contenoit des molécules métalliques qu i, pénétrant les portions du quartz qu’elles attei- gnoient, leur donnoient cette couleur. Au moins , dans les fentes des blocs et des rochers , je trouvai des pyrites cuivreuses et des cristaux colorés en verd. La terre sur laquelle nous marchions étoit couverte d’herbe ; et j ’espérois que cette herbe , quoique sèche, ferait une pâture pour mes bestiaux, puisque ceux du pays la mangent très-bien dans cet état. Mais, malgré la faim qu’ils éprouvoient depuis long-tems, ils la rebutèrent. Il est vrai que par sa grande sécheresse elle étoit tranchante , et que ceux qui tentèrent de la brouter eurent bientôt la langue et les lèvres ensanglantées. J ’aspirois, avec l’impatience de l’affliction, au moment d’arriver à la Grande-Rivière , à ce fleuve qu’on me disoit ne jamais tarir et dont on m’avoit peint les bords si agréables et si rians. A chaque instant, je craignois de voir nos attelages, avant de les atteindre, tomber épuisés, comme les premiers. Mes yeux se portaient en avant, pour chercher les arbres nombreux, q u i, disait- on , couvraient ses bords ; et les arbres ne pâroissoient point encore ; seulement nous découvrions devant nous les énormes montagnes aux pieds desquelles on me dit que ce fleuve cou! oit ; mais leur aspect nud et - brûlé n’ânnonçoit guère ce grand changement sur lequel je m’étois reposé.- ' - - : , Mais bientôt j ’entendis au nord-ouest le mugissement des flots. Ce bruit, qui annonçoit notre salut, fit tressaillir mon coeur ¿ ’allégresse, et involontairement mes gens poussèrent tous un cri de- joie. Nos'tourmens alloient donc finir une seconde fois ! J ’allois donc voir enfin une rivière ! car depuis celle des éléphans je n’avois trouvé que des torrens, ou desséchés, ou qui ne -contenoieut que quelques amas d’une eau croupie et boueuse. Pour jouir pju- Tome I I . • C


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