Dans de pareilles circonstances, que faire ? La prudence ne nous; perniettoit pas d’aller en avant pour l’attaquer ; et l ’obscurité de la nuit s’y opposoit. Il fallut donc, jusqu’au lever du soleil, rester sur le quivive ; dans des inquiétudes et des alarmes incertaines, mille fois plus pénibles qu’un danger réel. Seulement, afin d’effrayer et d’écarter l’ennemi, nous tirions de tems en tems quelques coups, de fusil vers l ’endroit qu’indiquoit le regard de nos bêtes. Nos fusillades n’empêchèrent pas les lions de faire entendre, dans différentes parties de la montagne, leurrédoutàble et lugubre cri. Mais ce qui augmenta de beaucoup nos craintes, et avec fondement, ce fut un de mes boeufs ,- qu i, à quarante pas de nous, se débattît pendant quelque tems, et poussa ces beugl’emens sourds d’un animal' souffrant, et qui se meurt. Nous ne doutâmes pas qu’i l avoit été surpris par un des lions. Enfin, le jou r, en éclairant l ’horîson, terminales longues et douloureuses angoisses de ma caravane. Pendant la n u it , les lions- s’étoient en effet approchés de notre camp, et nous retrouvâmes leurs traces en plusieurs endroits. J ’allai au lieu où j ’avois entendu le boeuf se plaindre, ne doutant point qu’iL n’eût été dévoré; mais à notre grande surprise , nous vîmes qu’il avoit été blessé d’une de nos balles ; il étoit mort, mais entier. Je le fis dépecer aussi tôt, et m’empressai de quitter un lieu où , sans avoir éprouvé beaucoup de dommages, nous avions eu néanmoins de grandes craintes. Le gîte le plus prochain où nous pussions nous arrêter étoit l ’emplacement d’une ancienne horde, où se trouvoit une petite fontaine saumâtre, et qui n’étoit qu’à trois lieues de notre dernier camp; nous suivîmes , pour y arriver, le penchant des montagnes ;. mais elles étoient tellement couvertes de kooker-booms que, dans l ’impossibilité d’avancer, je fis précéder mes voitures par ceux de mes gens qui étoient inutiles à la conduite , et les chargeai d’abattre à coups de pieds tous ceux de ces arbres dont le nombre s’op-- posoit à notre marche. Il y en eut un pourtant qui me frappa tellement par sa beauté queà ce- titre je le fis épargner. Il avoit neuf E N A F R I Q U E. pieds huit pouces de circonférence , et couvroit par 1 envergure de ses branches un espace de plus de cent pieds de diametre. J ’appris de Schoenmaker qu’un nommé Van Wyk avoit llabité le lieu où nous nous trouvions, et je donnai a cette fontaine le nom de ce colon nomade. Après avoir fait reposer là mes attelages, je continuai ma route. Nous débouchâmes des montagnes par une sorte de passage, ou de défilé qu’on appelle le Poort ; et nous entrâmes dans une plaine immense, dont je ne pus appercevoir toute 1 e- tendue, parc© que le jour commençoit à baisser. Enfin, nous arrivâmes en pleine nuit à B ra n d - K ra a l (Kraal brûlé) , ancien emplacement d’une horde nainaquoise. Ma caravane avoit marché tout le jour, sans avoir fait plus de sept lieues et demie, tant les chemins étoient mauvais. Nos boeufs tomboient de lassitude; et pour comble de malheur, je ne voyois ni une seule goutte d’eau ni une branche d’arbre. Cependant il falloit faire des feux pour la nuit. Je me souvenots encore de la nuit précédente 5 et quoiqu’en rase campagne je n eusse pas les mêmes risques à courir ? je voulois néanmoins n en courir aucun. Faute de bois, on ramassa donc des bouses sèches, et on alluma des feu x , qui servirent tant à écarter lés bêtes féroces qu’à nous garantir d’un vent glacial de sud-est qui nous faisoit grelotter. L ’élévation du terrain de Brand-Kraal ne devoit pas peu contribuer au froid que nous ressentions ; car , d’après mes observations, je trouvai que la plaine où nous nous campions étoit élevée au-dessus du niveau de la mer au moins de trois mille pieds. Le lendemain, la lumière du jour me permit de voir la longue et aride plaine où nous étions. Je fus glacé d’effroi, en mesurant de l ’oeil cet espace immense que nous avions à traverser. Tout étoit sable et cailloux. A peine, de loin én loin , appercevoit-on quelques petits aloès dichotomes épars, et une infinité de touffes énormes d’euphorbe. D’espace en espace, cette mer de sable étoit hérissée de monticules peu élevés; mais ces tertres diminuoient de hauteur , à mesure qu’ils s’ayançoient vers le nord : Ton eût dit que la terre finissoit à l’horison.
27f 82-2
To see the actual publication please follow the link above