JO V 0 Y A G E heures de travail et de recherches, réussir à m’en procurer, je me contentai, faute de mieux, de quelques échantillons de malaqui- te. A dire le v ra i, quoique je les aie rapportés en Europe, j ’en iàisois peu de cas ; et c est avec cette froide indifférence, qu’à, mon retour à Paris, j ’en fis l ’offre à Romé de l ’Isle. Mais je m’étois trompé, ce naturaliste les apprécia de manière à me faire regretter de n en avoir pas conserve une plus grande provision. Les montagnes dont je parle sont granitiques et micacées. L ’arbre le plus remarquable, le plus commun, et en même teins le plus agréable qu’on y trouve, est une espèce particulière d’aloès , nommé par les Namaquois karap , par les Hollandois kooker-boom. ( arbre à carquois), et par les botanistes aloès dichotome. Cet aloès s’élève jusqu’à vingt-cinq et trente pieds de hauteur : sa tige est lisse, et sa peau est blanche. Dans sa jeunesse , et lorsque cette tige n’a encore que quatre ou cinq pieds de hauteur, il sè termine par une seule touffe de feuilles, q u i, s’épanouissant comme celles de J’ananas, forme, comme lu i, une couronne, du milieu dé laquelle sortent toutes ses fleurs. En vieillissant, il pousse, sur ses côtés , des branches latérales, d’une simmétrie et d’une régularité parfaites, ¿ t qui de même ont chacune, à leur extrémité, une couronne pareille à celle que je viens de décrire. Le kooker-boom réussit beaucoup mieux sur la montagne que dans la plaine. Au lieu de racines longues et profondes, comme les autres arbres, il n’en a qu’une très-foible, par laquelle il est attaché au sol. Aussi lui suffit- il de trois pouces de terre , pour croître jusques sur les rochers mêmes, et parvenir à toute sa beauté. Mais sa racine le soutient si mal, que d’un coup de pied j ’ébranlois et renversois par terre les plus gros. C’est avec son tronc, lorsqu’il est jeune, que les peuplades de l’ouest font leurs carquois ; et de cet usage est venu le nom que lui ont donné les colons. Le tems que je venois d’employer à visiter la mine , avoit consumé toute mon après-dîner. Je ne revins à ma caravane qu’aux approches de la nuit, et je trouvai que mes gens avoient campé. Quoique nous fussions dans une gorge resserrée entre des mon- E N A F R I Q U E. j i tagnes, et que par conséquent le campement fût très-défavorable, il étoit trop tard pour en chercher un autre. Mais le pis de notre position , c’est que la gorge se trouvoif si étroite, qu’elle nç jious permettoit pas de nous entourer de feux, comme à l ’ordinaire, et qu’il ne fut possible d’en avoir que deux: encore brûloient-ils .très-mal, faute de bois sec. Tout homme qui voyage dans les déserts d’Afrique, ne'sauroit jamais prendre trop de précautions. J ’en fis l ’expérience cette nuit-là même ; et j’eusse dû être sur mes gardes, puisque quelques-uns de mes Hottentots m’avertirent qu’ils avoient entendu des lions. Mais l’habitude des dangers rend téméraire. A force de vivre dans des alarmes et des risques continuels, on finit par s’y accoutumer; et cette confiance, mère du courage, ' diminue en effet beaucoup les dangers. Vers les dix heures, tandis qu’assis en cercle autour d’un de nos feux , nous étions occupés à prendre du thé , tout à coup mes boeufs, qui avoient remonté le ruisseau pour chercher des pâturages, accoururent vers nous à toutes jambes, traversèrent le camp avec la rapidité de l’éclair, et disparurent. Mon premier mouvement fut de courir aux armes; et celui de mes gens de crier aux Boschjesinan. Ces Boschjesman étoient leur grand objet de terreur; et comme il n’y en avoit aucun qui les affectât autant, c’étoit toujours celui qui se présentoit d’abord à leur imagination. Pour moi, je ne crus poiut à ce danger; et ce qui me rassura, fu t, d’un côté, la contenance de mes chiens qui, ne changèrent point de place, et de l ’autre, l ’effroi de Keès, qui se jetta sur moi, en me tenant serré très-fortement. Certes, ni le singe; ni les boeufs, n’eussént témoigné autant d’épouvante à l’approche des Boschjesman; et mes chiens, au lieu de rester, pour ainsi dire, en arrêt , eussent couru à leur rencontre pour les attaquer. D’ailleurs les boeufs, après s’être éloignés de nous par frayeur, s’en étoient rapprochés par instinct. Leurs y e u x , ainsi que ceux de tous mes animaux grands et petits, étoient fixés yers un même point ; et ce point, en m’indiquant le lieu et la nature du danger, m’annon- ço it, à ne pas m’y méprendre, ou un tigre ou un lion. B a
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