Page 93

27f 82-1

mon singe; et, de teins en tems, j ’eus soin qu’on renouvellât les décharges. Ces prétendus ennemis étoient nos gens du cachalot, qui revendent vers nous, et qui, à la lueur de nos feux, ayant reconnu le camp, s’approchoient pour nous rejoindre. Notre fusillade les effraya. Ils se tinrent à l’écart, et avant d’avancer tirèrent un coup de fusil pour se faire reconnoître. Mais dans ce moment nous étions si préocupés de l’idée d’une attaque ; nous les attendions si peu à une pareille heure; c’étoit de leur part une imprudence si grande de tirer au lieu de crier et d’appel- ler, que leur signal ne fit qu’accroître nos alarmes. Nous crûmes avoir affaire à des Hottentots marons qui, munis d’armes volées, ve- noient pour nous assassiner et pour piller mon camp ; le coup de fusil de signalement nous confirmoit dans cette idée, et s’annonçoit à nous comme le commencement d’une attaque. Nous présumions que l’ennemi tiroit sur nous de quelqu’embuscade très-voisine, et qu’il cherchoit à nous déplacer. Je fis faire aux miens bonne contenance , et nous fumes au guet durant toute la nuit, bien résolus de vendre chèrement notre vie. A la vérité, quand le jour parut, je distinguai à une certaine distance un groupe de Hottentots; mais quoique ce fussent, en effet, les miens , ne voyant point avec eux les deux boeufs qu’ils avoient emmenés., mon esprit préocupé d’une pensée unique s’y fortifia d autant plus , et je ne les reconnus pas. Cependant ils approchoient de mon côté, j ’allai à leur rencontre , et bientôt l’illusion disparut. Ils accoururent vers moi dans un état de tristesse qui m’annonça combien ma prévoyance avoit été fondée, lorsque je m’opposai à leur départ : ils me dirent qu’ils étoient allés plus avant me chercher vers le nord, parce qu’ils me supposoient plus avancé ; mais que n’ayant apperçu ni la trace de mes chariots,.ni celle de mes animaux, et supposant que quelqu’accident avoit retardé ma marche, ils s’étoient vus forcés de rétrograder et de se rapprocher du Krekenap. Quant aux deux boeufs, ils étoient morts en route , faute de pâturage. Peut- être les avoient-ils fait périr eux-mêmes en les fatigant outre mesure. et en leur faisant porter une charge d’huile plus considérable que leurs forces ne le perméttoient. Ce soupçon à mes yeux àpprochoit de la vérité; mais, dans la circonstance où je me trouvois, je craignois encore de les décourager par des reproches ^Qui le croiroit ? depuis l ’instant où la troupe avoit quitté le Cachalot, elle n’avoit ni bu ni mangé ; mais leur passion pour la graissé qu’ils étoient allé chercher leur avoit rendu la fatigue et la faim supportables. Ils en rappor- toient une centaine de livres, et ne regrettoient dans tous les malheurs de cette désastreuse aventure , que de n’avoir pu, je crois, traîner jusqu’ici la baleine elle-même. Je tremblois de jetter les yeux sur ma caravane ; l’état de délabrement où je la voyois tomber, de jour en jour, répandoit l’amertume et le découragement dans mon ame- J’en fis à regret la revue et le dénombrement ; il étoit essentiel que je connusse combien il me restoit encore de boeufs en état d’être attellés aux voitures. Hélas ! le nombre en étoit cruellement diminué ; je n’en pouvois fournir à toutes mes voitures, et je me voypis dans la dure nécessité d’en abandonner une dans le désert : c’étoit la première fois que J’étois descendu à ce degré d’infortune, Quelque douloureux que fut ce parti, la nécessité m’en faisoit une loi, et tout jHon monde me conseilla de m’y soumettre. Cependant nous n’étions pas pour cela hors d’embarras. Que devenir, où aller, de quel côté tourner nos pas? Voilà ce qui excitoit davantage mon inquiétude et mes regrets ; il me suffit, pour peindre ma situation, d’avouer ici, que , ne trouvant plus en moi de ressourcé pour en dérober toute l’horreur à mes compagnons, je les assemblai aussitôt, et m’en remis à eux du soin de me tirer d’affaire. L’un me conseillent de retourner sur mes pas et de regagner la Rivière-des.Eléphans ; l’autre de pousser en avant vers celle de Swarte-Dooren , qui n’est, à la vérité, qu’un torrent, mais qui, dans la circonstance présente et après les pluies que nous, avions, essuyées , nous offriroit, peut-etre, de l’eau et quelques pâturages. Le premier de ces projets étoit impraticable, et loin de nous offrir une ressource, il nous menaçoit, nous et nos bestiaux, d’une mort certaine, si nous avions osé l’entreprendre. La Rivière


27f 82-1
To see the actual publication please follow the link above