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de mariages qui remirent tout en ordre. Mais les plaintes quoi- qu’ étouffées et tenues secrètes, n’en existaient pas moins. La surveillance des mé^es était aux abois. Les maris, d’autant plus ulcérés qu’ils se voyoient contraints de cacher leur jalousie, mau- dissoient semètement théâtre et acteurs ; tandis que les mamans, plus hardies, clabaudoient contre les désordres et en accusoient ouvertement la comédie. Enfin, au grand chagrin des-jeunes gens , mais à la grande satisfaction des époux et des vieilles, le spectacle cessa tout à coup; et ce fut par une cause étrangère,, qu’il n’étoit guère possible de prévoir. Quoique le Cap n’eût pas -été attaqué et quil ne l’ait pas même été tant que leà hostilités durèrent, cependant il a voit éprouvé déjà quelques-uns des fléaux de la guerre. La crainte des flottes angloises avoit empêché* d’y envoyer des espèces mon, noyées. En peu de tems, le numéraire manqua ; les- denrées augmentèrent de prix ; et l’alarme alors devint générale.. Dans cette pénurie, la Compagnie hollandoise crut devoir créer un papier monnoie. Mais cette monnoie fictive, qui ira voit d’autre garantie et d’autre sûreté que la confiance dans les signataires , fut un mal ajouté à un autre mal. La plupart des colons de l ’intérieur s’ohstinèrent à la rejetter ; et beaucoup d’entre eux , craignant d’être payés en papier, cessèrent d’apporter des denrées à la ville. Par leur retraite , tout quadrupla de valeur, et bientôt la disette devint extrême. Dans ces circonstances , nos acteurs, qui peut-être ne rece- voient pas trop exactement leur paye, ou qui du moins n’en rece- voient pas une proportionnée à leur dépense, se trouvèrent très- embarrassés. Pour sortir de peine, deux d’entre eux imaginèrent d’imiter le papier monnoie , et de faire ausèi leur émission. Malheureusement la leur fut si peu ménagée, et ils montrèrent dans leur écriture tant de maladresse, que bientôt ils furent reconnus. Alors la justice informa ; l ’affaire prit même une tournure sérieuse; et pendant quelque tems on craignit, pour nos deux héros de comédie, une fin tragique. Mais enfin tout s’arrangea ; et soit ménagement pour leur personne et leur corps, soitrecon- noissance pour le plaisir qu’ils avoient procuré, on se contenta de les bannir , et de les embarquer sur un vaisseau qui retournoit en Europe. Je les vis partir. La troupe comique resta incomplète : honteuse de son aventure, elle, n'osa ni leur* chercher des successeurs , ni reprendre ses fonctions. Quelque étourdissans qu’eussent été les plaisirs, le gouvernement ne s’étoit pas endormi sur le danger qui menaçoit la colonie. Comme chaque jour il s’attendoit à être attaqué par la flotte angloise, il a voit multiplié ses moyens de défense et ordonné dif- férens travaux et des fortifications nouvelles. Mais quoiqu’à mon départ les ouvrages -fussent déjà commencés, à mon retour ils n’étoient pas achevés encore , et de toute part je voyois des bras en activité. D abord les travaux avoient été conduits avec beaucoup de zèle et d ardeur, parce que les habitans, échauffés par leur intérêt particulier, qui en ce moment se trouvoit réuni à l’intérêt général, étaient venus volontairement offrir leurs services et se mêler parmi les'travailleurs. Jeunes et vieux, militaires et -magistrats , marins et propriétaires, tous ambitionnoient l’honneur de coopérer à la chose publique et à la sûreté comnmne. C’était vraiment un spectacle admirable que toute cette multitude, qui, chargée de pioches, de bêches et autres instrumens pareils, le matin sortait de la ville en ordre, et alloit gaiement se rendre aux atteliers. Mais ce beau feu ne »dura pas long-tems. Bientôt, sous le prétexte d’épargner ses forces.et de ne point se fatiguer en pure perte, on se fit suivre par des esclaves qui portaient les outils et instrumens, Peu après, on se contenta d’envoyer ses esclaves ; enfin, ces suppléans, à l’exemple de leurs maîtres, ou peut- être même par leur ordre secret , cessèrent de venir ; et tout ce


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