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Kiaâs en. ce moment étoit assis auprès de moi, me serroit les mains, et me témoignoit par les plus grandes marques d’affection , toute la joie qu’il ressentait d’avoir encore une fois contribué au salut de mes jours. Mais j ’ai, dit-il, une grâce à vous demander, g; Yons croyez qu’en cette occasion Jonker ( c était le nom de mon nouveau Hottentot) se soit montre un brave garçon,, je vous prie de lui donner un fusil. C’est moi qui vous l’ai amené, et c’est moi qui vous réponds de lui ; soyez sûr qu il ne vous en fera point repentir. Pour entendre ceci, il faut savoir que dans la distribution de mes armes à feu, je m’étais fait à moi-même des loix très-sévères; tous mes gens, indistinctement, n’en portoient pas ; je n’avois accordé cette sorte de faveur qu’à ceux d’entre eux dont le caractère m’étoit bien connu, et qui s’étoient distingués par leur fidélité, autant que par leur courage et leur adresse; ceux-là avoient seuls le nom de chasseurs ; chaque mois je leur donnois pour paye un du- caton (à-peu-près neuf livres) ; tous les autres ne recevoient qu’un rixdaler, qui vaut un tiers de moins. Cette paye , ponr des hommes qui n’avoient pas, dans le voyage, une occasion de le dépenser , jointe aux autres petits profits que je me réservois de leur accorder par la suite, ne laissoient pas.que de leur promettre beaucoup de douceur pour le moment de notre retour au Cap. Je promis à Jonker tout ce que Klaas venoit de me demander pour lui; c’est-à-dire , de lui donner, dès que nous serions de retour à mon camp du Kxekenap , un fusil avec le fourniment complet, et dès munitions. J’ajoutai une autre faveur à celle-ci, en le nommant l’un des conducteurs de mon chariot maître ; ce qui, réuni à sa paye de chasseur, augmentait son traitement de près de moitié : c’est ainsi que je jouissois de la douceur de décerner des récompenses et d’accorder de l’avancement à mes compagnons sans 1 influence d’aucune basse intrigue , d’aucune recommandation insidieuse, qui me forçasse à être prodigue envers les uns et avare qu injuste envers les autres. Je régissois enfin ma petite caravane heureusement sans le concours de ces plats intrigans, qui, infatués de leur savoir, et se fourant par-tout, s’arrogent le droit de juger en dernier ressort du mérite des autres. Tant de distinctions et de bonheur à la fois, comblèrent de joie le pauvre Jonker ; il ne savoit comment exprimer sa reconnois- Sance. Possesseur d’un fusil, conducteur du chariot de son maître, j ’en avois fait tout au moins un grand d’Espagne; il ne restait plu.s qu’à lni accorder l’honneur de monter dans les voitures. A entendre cet Hottentot, il avoit toutes les dispositions nécessaires ponr devenir un grand chasSeur ; car il se sentait, disoit-il, le désir d’être un jour un très-habile tireur ; et quoiqu il eût eu très-rarement l’occasion d’exercer ses talens en ce genre, il se voyoit déjà presqu’autant d’adresse qu’en avoient ses camarades les pins adroits ; bref, il nous parla si long-tems et si naïvement de la manière dont il s’y prendroit pour tirer juste, que ses camarades, qui le connoissoient, le plaisantèrent et s’amusèrent heaucoup à ses dépens. Je vis tout ce monde en si belle humeur, que j imaginai d en venir à l’essai , et je proposai de tirer au blanc; bien certain que le nouveau chevalier m’apprêteroit beaucoup à rire. Ses trois compagnons étoient d’excellens tireurs; pour lui, son coup fut tel, qu’on eût été plus en sûreté au but que par-tout ailleurs. Comme je le vis décontenancé, qu’il prenoit la chosc.\au sérieux , et qu’il craignoit même que sa mal-adresse ne me fit retirer ma promesse ,-je m’empressai de le rassurer ; je consolai son amour-propre, en lui protestant que dans les premiers jours ou je m’etois exerce a manier un fusil, j’avois tiré bien moins juste encore , et qu’avant peu, avec l’ardeur qu’il montroit.pour la chasse, il seroit à coup sûr un bon tireur ; je n’en aurois pas dit autant de nos élegans petits maîtres, et particulièrement de nos beaux esprits à lunettes. Ce que je lui avois annoncé se vérifia par la suite; car Jonker devint en effet le plus intelligent et le premier de mes'pourvoyeurs. Quelques réflexions rendront cette particularité très-sensible : il n’en est pas de la chasse en Afriqué comme en Europe; là, le talent du chasseur ne consiste point, comme ici, à avoir seulement la main sûre et le coup-d’oeil juste ; avec cette qualité il doit-encore en posséder R a


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