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au milieu d’eux, soit le rivage où nous tendions, soit le rivage d’où nous étions partis. Au milieu des plus vives alarmes que j’aie éprouvées de ma vie , le croira-t-on ? une consolation douce venoit en adoucir un peu l’horreur. J’ai „fortement éprouvé dans cette rencontre, combien nos maux diminuent lorsqu’ils sont partagés ; et quelqu’inqniétude que m’inspirât la vue;de mes braves , qui se sacrifioient pour l’amour de moi , et couroient aune mort certaine plutôt que de m’y abandonner seul , leur action généreuse rendoit ces derniers moinens'inoins amefs : je périssois après avoir épuisé tous les secours de l'amitié; : - J ! . , Cependant ces pauvres Hottentots, exténués , haletans, s’encoura«. goient encore ‘d’ùne voix foible ; aucun d’eux ne lâcha les courrôyes attachées k ffiOn arbre, aucun ne cessa de nager et d’opposer du moins quelqùè résistance an courant, en substituant de la sorte l’adressé à TÙ force j -èt tirant tout le parti possible de la circonstance. Aù’ hômbré de Ces Africains , il y ¡en avok un dont les services ëtoîënt aùssi ùouvèaux pour moi, que je l’étois pour lui ; il ne le oédoit point à ses camarades ën ¡zèle et en courage ,et je crois qu’il se seroit laissé entraîner à la mer un des premiers. Nous y touchions, lorsque je m’apperçus; à la diminution de résistance; que noué'avions paésé la plus grande roideur du courant. C’est alors qù’ils ramassèrent le peu de forces qui leur étoient restées , et qu’enfin, se retrouvant en plein calme, ils commençèrent à respirer , et gagnèrent le resac, qui bientôt nous permit d’aborder la terre. Le premier qui la sentit, l’annonça par un cri de joie qui fut répété par les trois autres. Je voudrois peindre en vain l’émotion générale qui se fit sentir en ce moment parmi nous. Je sautai sur le rivage;'et, débarrassé de l’attirail grotesque, qui avoit tour à tour excité nos’pkisànterieset nos alarmes, je me jettai au cou de mes libérateùrs, qui m^embrassèrent avec transport. Notre premier soin fut d'allumer un grand feu : nous étions transis, autant par l’effet de la terreur que par,1’impression de l’eau; nous fîmes sécher nos vêtemens. Mes nageurs, par une prévoyance très-heureuse, très-heureuse, s’étoient pourvus d’une calebasse pleine d’eau-de-vie. Quelqu’ait toujours été ma répugnance pour cette liqueur , j ’en bus un coup avec délice ; elle remonta mes fibres, et me rendit mon existence première. Nos fusils, que- j ’avois été contraint de poser et d amarer sur mes genoux, afin de me cramponner des mains sur le fatal tronc, lors de ses fréquens mouvemens, avoient été mouillés ; je m’empressai de les essuyer. Quoique j ’eusse vingt fois été couvert par les lames, heureusement l’eau n’avoit pénétré ni dans les poires à poudre, ni porté atteinte à ma montre. Que je me sus bon gre d’avoir eu assez de présence d’esprit pour n’abandonner pas mon tronc d’arbre! Je n’ai pas besoin de dire combien m’eût été funeste la perte de mes fusils, ainsi que de ma canonnière ; non-seulement je n’anrois pas rempli, sur la rive où je venois d’aborder, le but que je m’etois proposé; mais je ne pouvois remplacer-ces fusils, par d autres, et mon voyage eût été singulièrement dérangé par cette privation. Mais je n etois occupé dans ce moment que du bonheur d’avoir échappe à un péril aussi éminent; je n’en vis bien toute l’immensité , que lorsque je pus mesurer des yeux les deux rives. C’est alors que je fis de sérieuses réflexions sur mon extravagance et sur le péril où j ’avois entraîné mes compagnons. A la vue du trajet, je frissonnois d’épouvante. Ce n’étoit pas un fleuve que j ’avois traverse , c’etoit un vaste débordement, dont à peine ma vue pou- voit mesurer l’étendue. Il ne m’est pas possible de rien dire de positif sur sa largeur, puisque je n’avois point d’instrumens pour le mesurer; mais on pourra l’apprécier, lorsqu’on saura, que ,, depuis le moment où nous quittâmes terre jusqu’à celui où nous, abordâmes, je comptai à ma montre trente et quelques minutes. Il est vrai que la force et la rapidité du courant nous avoit beaucoup nui, en nous entraînant au fil de l’eau, et par conséquent avoit retardé d’autant notre traversée. Lorsque je vis mes gens un peu remis, je songeai à dçs témoignages de reconnoissancè plus efficaces, et les engageai à me de-, mander avec franchise tout ce qui pouvoit leur faire plaisir. Tome I. R


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