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bientôt fait un collier, que je me mis autour du cou; ma montre y fut .aussi attachée. Tout étoit prévu, disposé pour ce périlleux trajet. C’est dans ce grotesque accoutrement que je vais gagner mon arbre ; j’entre dans l’eau, à cheval sur mon bâton , je prends mon à-plomb comme sur une selle, c’est-à-dire, sur les paquets et entre les outres ; mes nageurs se lançënt, entraînent la frêle voiture, et son trésor, et son mannequin; enfin, nous voilà à la merci des eaux. Tant de précautions devoient me rassurer Gontre tout accident. Aussi je me Vis à l’eau Sans crainte ; cependant pour ménager mes îiagëufs, qui, dans un si long trajet, avôient besoin de conserver toutes'leurs forèés , j’étois convenu avec eux qu’il n’y en duroit que deux pour me- haller à l’avant, tandis que deùx autres, appuyés sur le derrière, nageroient seulement des pieds, et pousseroientl’équipage; et qu’ainsi, tour à tour fatigués , ils se relayeroient et se soulage, rbiènt mutuellement : plaisans Tritons qui, bientôt, vont donner de grandes inquiétudes à leur Neptune ! D’abord nous allions à ravir , parce, que la portion du fleuve qui étoit débordée, n’avoit presque pas de mouvement, et que par conséquent elle offroit peu de résistance ; les nageurs me halloient sans peinèj-ils plaisàntoient même-sur la Crainte qu’ils avoient eue de ne pas réussir; je m’égayois moi-même, à mes propres dépens ; je nèpouvois m’eiiipêchèf ■ dè'rire de mon attitude roide et guindée , de mes deux bras en l’air, Jarmés de leurs foudres, de la fraise que j’avois autour du cou, de l’équipage enfin qui, entourant ma ceinture, servoit comme de lest et dé contre-poids à la plus bizarre de toutes les voitures; mais'combien la scène changea, et quel ton différent èllè vint-imprimer- à l’accent de nos voix. À peine fûmes nous entres dans le courant, que, sa rapidité l’emportant sur nos efforts, nous nous vîmes peu à peu dériver ; et bientôt sa violence fut telle, que, malgré tout le courage avec lequel mes nageurs luttaient et coupoient les eaux, nous nous vîmes entraînés rapidement vers la mer. - C’en étoit fait de nous si ce malheur fut arrive, et je perissois infailliblement. Ma bonne étoile voulut que le vent qui venoit du large, retardât notre perte en s’opposant un peu à notre dérive , et nous repoussant à-mout ; mais en même tems, il élëvoit des vagues qui nous empêchoient d’avancer / et qui, sans cesse, nous couvroient d’eau; de manière qu’à chaque instant nbus disparois- sions les uns pour les autres. Par un inconvénient qu’il n’avoit pas été possible de prévoir et auquel il n’y avoit plus de remède, le tronc, que jusqu’alors on avoit tenu sans peine dans sa direction horizontale, tout-à-coup, changea de disposition; tantôt, poussé avec violence vers les deux nageurs de l’avant, et les courroies redevenues lâches, il rendoit leur marche inutile; tantôt, par un mouvement, contraire, roidissant sur les courroyes, il secoùoit rudement les nageurs et les tiroit en arrière ; mais ce qui étoit le plus désastruoux, c’est que le fatal tronc d’arbre souvent s'enfonçojt par un bout ,, tandis qu’il se, rele- voit par l’autre , et se présentait ainsi trèsidéfayorablement au fil de l’eau ; ce qui, d’un autre côté,; rendoit inutile la manoeuvre des deux nageurs de 1 arriéré ; et telle etpii ,ma position-, que, malgré mon escorte, je me voyois livré'à la merci des flots, tournant, sautant à leur gré, dérivant de plus en plus, prêt à, perdre en un mot l’équilibre. Le danger étoit pressant; les deux nageurs de l ’arrière quittèrent à propos leur poste, et , s’élançant aux côtés des deux autres, ils se saisirent des courroyes pour les seconder dans cette lutte effrayante. Pour moi, quoiqu’ayant beaucoup de peine à me tenir sur mon support, je ne laissai p>s que de favoriser des pieds leurs efforts; ces braves gens en faisoient d’inimaginables. L e danger où, ils s’étoient engagés par attachement, pour moi , l ’assurance qu’ils m’avoient donnée de me porter à.l’autre bord, leur faisoient un devoir de périr en espérant toujours de me sauver. Ifs déployoient des forces sur-humaines; néanmoins, je commençois à désespérer; k dérive, qui devenoit de plus en plus rapide; et qui nous approchoii: nécessairement de la mer, ne. me laissent: d’autre perspective que d’abandonner le tronc, mon collier, mes fusils, tout l’équipage, et do me jetter à la miséricorde de mes Hottentots, afin de gagner


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