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Rien ri’éxaltoit autant mon imagination, à la hauteur où j ’étois, que l’aspect des maisons de la ville où je plongeois mes regards; je proménois ayec avidité ma lunette sur la masse des bâtiméns, et je oroyois avoir-remporté une victoire toutes les fois que je pré- sumois .reconnaître l’emplacement d’une maison ; celles de mes amis particuliers fixoient plus. long-tems ma vue : «Ils s’occupent peut- « être en ce moment de moi, me disois-je, et par un retour invo- « lontaire et naturel, je suis uniquement occupé d’eux ; ils font des « voeux pour la réussite de mon entreprise ;. me croyent peut-être « bien éloigné, bien caché, et je domine sur l ’atmosphère qui les ente veloppe ». Lorsque je fus de retour à l’habitation, je trouvai un repas splendide qui m’attendoit ; splendide pour des habitons de la colonie, •et selon les préjugés de leur amour-propre ; car ces bonnes gens ont aussi leur étiquette. Du reste, nulle idée de ce que nous appelions bonne table, un service bien réglé, des mets délicats et sucrés ; là , la magnificence consiste à couvrir la table d'une grande quantité de viandes , et plus la tabla en est chargée, plus le, convié est un homme ■estimable , un personnage distingué | et plus on l’honore. Cependant nous n’étions que trois à table, c’est-à-dire, mon hôte, Swanepoel et moi. Vingt grenadiers , après une, marche forcée , n’auroient pu suffire à dévorer tant de nourriture ; les plats eux- mêmes étaient comblés , et celui du milieu portait une pyramide de six volailles rôties qui étaient énormes. Cette profusion, qui eût rebuté jusqu’à des ogres, m’offroit, à moi, l’image révoltante d’une basse-cour et d’une étable entièrement dévastées. J’en perdis sur-le-champ l’appétit ; e t , trompant mes dégoûts par autant de distractions que pouvoir rn’en apporter la cause de mes voyages toujours présenté à momesprit, je passai la plus grande partie du repas à fatiguer de questions le maître de la maison. Pour Swanepoel, il promenoit ses regards sur les six volailles fumantes ; mais j rassasié déjà, c’étoit en vain qu’il les convoitoit; le pauvre Swanepoel étouffoit de nourriture et de regret. Je ne saurois mieux comparer ces repas peu frùgals et dignes des héros d’Homère , qu’à qu’a Ces buffets qu’on voyoit autrefois , à certaines époques de nos fêtes , et qui pliant sous une multitude de volailles de toute espèce, sam- b!oient étalés exprès pour .consoler tout un peuple affame. J’avois déjà beaucoup interrogé mon hôte pendant notre course au Piquet; je Lui parlai, eu ce moment, de isas possessions et de ses vergers. -Fatigué de rester assis, je faisois tant d’hélas ! sur sa vie singulière , que je lui fis naître l’idée de quitter la table. 11 n.eût pas de peine à justifier la bonne opinion qu’il m’avoit donnée de son ardeur et de son intelligence. Nous parcourûmes toutes ses possessions; par-tout je vis des terres bien cultivées., des .arbres en bon état, des plantations, en un mot, dans le meilleur ordre possible ; par-tout un air d’abondance et de vie, dont je n’avois point autant joui dans beaucoup d’autres habitations de la colonie. Le district du Piquet-berg , suivant ne que .me dit mon IiQte» n’a guère que vingt-cinq oui trente habitations ; -et il ne peut meme en avoir, je crois, davantage, parce que l’eau yesttrès-rare ,.et.que, ne possédant qu’un certain nombre-de sources et de ruisseaux., dont les premiers habitons seront emparés, ceux qui désormais viendraient s’y établir, ne trouveraient qu’un sol aride et stérile. En général, les terres y sont médiocres ; cependant les propriétaires recueillent ce qui leur est nécessaire en bled pour leur consommation. .Le seul commerce que leur permette la nature du terrain est, comme aux Vingt-quajre-rivières, celui des fruits; et .ces fruits n’ont d’autre débouché que par les colons environnans qui les envoyent chercher j car, la distance du Piquet au Cap 'est trop considérable pour en •entreprendre la route pour la seule vente-des oranges. Mon vieillard philosophe voulut me donner pour mon voyage une certaine provision, des siens. En vain je lui représentai que j ¡en avois acheté chez Liewen- berg une quantité suffisante; lui-même vint visiter mes chariots, et il remplit de citrons et d’oranges toutes les places vnides qu Ü y trouva; ce qui, par la suite, et''pendant une partie de ma route, m’offrit, pour mes gens et pour moi, une grande douceur. A cette attention obligeante, il joignit avec la même honte , •un cadeau qui étoit bien plus fait peur me p l a i r e . C’étaient trois Tome I. Q


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