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profit une partie de ses denrées, notamment les épiceries dont les vaisseaux sont chargés au retour de l’Inde, elle les oblige à relâcher au Cap même, où ils sont censés plus surveillés qu’ils né le seroient dans les autres baies environnantes. Ces soupçons, qui ne font certainement point honneur aux marins qu’elle emploie , sont même poussés si loin, qu’il faut les raisons les plus impératives et les plus urgentes, pour qu’un capitaine ose prendre sur lui d’aborder un port étranger ; et tout homme jaloux d’avoir encore un vaisseau à commander par la suite, doit s’en abstenir. J’ai fait moi- même , à cet égard, la triste épreuve de ces ordres rigides ; car à mon retour du Cap, pendant la traversée la plus malheureuse, luttant enfin depuis six mois, contre tous les vents contraires et manquant de vivres, notre patron ne fut pas assez hardi pour relâcher à l'une des Canaries que nous passâmes à la portée du canon. Peut-être un jour la Compagnie daignera-t-elle examiner mon projet et en ordonner l’exécution ; mais, en attendant qu’il s’accomplisse , je regrettérai sincèrement qu’un si beau pays reste presque désert, et que, faute de consommation et de bras, il perde tout ce que la nature fait sans cesse pour sa fécondité. Je suis persuadé que la cànne à sucre, le coton et l’indigo croîtroient très-bien auVingt- quatre-rivières. Mon hôte, avant que je ne me séparasse de lui, me pria d’accepter quelques bouteilles de jüs de citron, qui, par la suite, me furent d’un grand secours ; mais il exigea dé mon amitié , qu’à mon retour je lui ramenasse un bouc et une chèvre du pays des Nama- quois ; il avoit entendu vanter l’espèce de ces animaux; et, en effet, c’est la plus belle que j’aie vue de ma vie. Ses deux fils me firent promettre également de leur vendre à chacun un de mes firsils. Ils s’attendoient qu’après mon voyage je repasserois chez eux en retournant, au Cap, et ignoroiént que mon projet étoit de n’y plus revenir. A mon départ, la famille me saluà par mié-filsillade à laquelle il me fallut répondre. Il en fut de même des autres habitations près desquelles je passai. Dans toutes on s’empressoit de venir à ma rencontre, en me souhaitant/ à coups dé-fusil, .un heureux voyage ; mais ce qui m’étoit plus fâcheux, c’est qu’excèdé de l’ac- ceuil bruyant de ces colons qui ; sans cesse, retardoient ma marche, il me falloit à mon tour leur témoigner ma reconnoissance, en brûlant inùtilement ma poudre dans ces adieux fatigans. Ces incommodes visites me consumèrent tant de tems, que je ne pus , dans toute ma journée , faire que: quatre lieues. Le lendemain, je me trouvai dans le district des montagnes du Piquet, et j’arrivai de bonne heure près de l’habitation d’un vieillard respectable, nommé Albert Haanekam. Ce colon étoit une espèce de philosophe pratique, qui avoit imas- giné de se rendre à la fois heureux et parfaitement libre, ce qui n’est pas toujours une même chose, il s’étoit fait un plan de vin qui ne ressembloit en rien à celle de ses camarades. Sans femme, sans enfans, sans relation avec ses voisins, sans autre compagnie enfin que les esclaves qui étoientà son service , il vivoit, pour ainsi dire, seul, et savoit se suffire à lui-même. Le tems, néanmoins, n’étoit pas pour lui, comme pour les autres colons, un poids incommode. II l’employoit tantôt au travail, tantôt à la méditation ; car il ne savoit pas plus lire qu’eux, et ne devoit sa philosophie qu’à ses réflexions particulières, et à des combinaisons naturelles. Avec ce genre d’existence , heureux à sa manière , il ne s’étoit jamais ennuyé ; la sérénité dé son ame paroissoit même avoir influé sur son caractère ; au moins je n’ai point entendu, dans toute la colonie , une conversation plus gaie, ni vu un vieillard plus aimable. Prévenu d’avance que j’allois traverser son domaine, et visiter les montagnes du Piquet, il vint au devant de moi, et s’offrit à me servir dé guide pour monter sur la plus haute d’entre elles, si je votr- lois accepter de passer la journée chez lui. La première partie de sa proposition m’étoit trop agréable pour ne pas acquiescer à la seconde. Je le suivis sur la montagne, où rien ne m’offrit une observation particulière, mais où j’eus le magnifique spectacle d’une vue d’autant plus étendue que l’atmosphère étoit très-pure : à la vue simple je distinguois très - parfaitement la Table, et je pus même- avec ma lunette reconnoître la ville.


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