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venir très-utile à ma caravane et à moi. D’ailleurs, obligé à des relations avec les peuplades sauvages chez lesquelles j ’allois passer; je me mettois à portée de leur administrer des secours qui ne pou- voient qu’augmenter leur bienveillance et leur affection pour moi ; et je ne me rappellois pas sans douleur, ce malheureux Gonaquois, que j ’avois vu dans sa hutte, abandonné à des douleurs horribles, sans avoir pu, faute de connoissances en médecine, soulager ses souffrances. D’un autre côté, j ’avois à craindre pour le courage de mon esculape, les fatigues et les dangers du voyage. Que devenir s’il se rebutoit ? Il m’eût donc fallu alors retourner sur mes pas, et me rapprocher de la colonie pour l’y déposer ; car certainement je n’aurois point voulu l’abandonner seul au milieu des déserts. Dans cette perplexité , il me vint une idée qui paroit sans peine à cet inconvénient, et qui nous conservoit à tons deux notre indépendance personnelle : c’étoit d’avoir une voiture et des gens à lui, afin que si l’envie lui prenoit de rétrograder, il pût le faire librement, sans suspendre ni gêner en rien ma marche. Cet arrangement nous mettoit tous deux fort à l’aise. Je le proposai, et j ’y attachai exclusivement mon consentement d’association j mais il ne fut point accepté, et je n’ÿ songeai plus. D’antres moti voient leur improbation d’après le caractère prétendu des peuplades africaines , peuplades qu’ils se représentaient comme formées de monstres féroces et d’antropophages, chez lesquels je de- vois bientôt et infailliblement trouver la mort. Pour moi, qui crois connoître l’homme sauvage beaucoup mieux que tous ces beaux diseurs , dont les instructions superficielles ont été puisées dans des livres mensongers ; je n’avois nullement craint le danger qu’on m’an- nonçoit. J’ai été à portée d’étudier la nature humaine ; par-tout elle m’a paru bonne; et par-tout aussi je l’ai vu hospitalière et amie, quand on ne l’offensoit point; et j’affirme ici, d’après ma conviction intime, que dans ces contrées prétendues barbares, où les blancs né se sont pas rendus odieux,'parce qu’ils ne s’y sont jamais présentés, il m’eut suffi d’offrir la main en signe de paix , .pour voir aussitôt les Africains la presser affectueusement dans les leurs et m’acceuillir comme leur frère. Si je voulois obtenir deux quelques services, ou me procurer des échanges, n’avois-je pas dans mon eau-de-vie, ma quincaillerie et mon tabac, des moyens de commerce très-avantageux. Eh ! quel est le noir qui ne m eut cede avCc transport tout ce qu’il possèdoit, pour des marchandises dont 1 acquisition lui eût donné et les objets les plus nécessaires et les jouissances les plus délicieuses qu’il connoisse. Jele répète, si j ’ai été contrarié dans mes projets, ce ne sont point les hommes , mais les saisons que j’en accuse ; et cette contrariété du ciel, j ’ai commencé ù en ressentir les effets dès le moment de mon départ. Dans tous les tems de l’année, les chemins du Cap sont mauvais ; et par leur état habituel, on peut juger de ce qufils devoient être dans un tems de pluie déjà commencé. A peine étois-je à un demi-quart de lieue de la ville, quand un de mes chariots fut entraîné dans un trou, et versa dans la boue, sans qu’il fût possible aux dix boeufs qui formoient son attelage, ni à la résistance des Hottentots qui le conduisoient d’arrêter sa chûte. . . < . , En un instant mon accident fût su au Cap ; et bientôt je vis arriver une foule d’habitans, attirés les uns par la simple curiosité , les autres par le désir de m’être utiles : j ’avois effectivement besoin, de secours pour remettre la voiture sur ses roues; mais il n’étoit pas possible de la relever sans la décharger entièrement; et d’un autre côté les caisses étaient si grandes et si lourdes qu’on ne pouvoit les déplacer et les replacer qu’à force de bras. Il fallut donc les vider en place. Chacun m’aida; à mesure qu’on tiroit mes effets, on les déposoit autour du chariot, dans les endroits les moins boueux. En peu de tèms, tout l’espace qui nous entourait en fût couvert, et ce que j’emportois se trouva etale aux yeux de tout le monde. Enfin, cependant je parvins à remettre les choses en place, et repris ma route ; mais non sans beaucoup de réflexions affligeantes de la part des spectateurs qui, d’après l’accident par lequel je débu- tois, présageoient mal de mon voyage. Leurs pronostics ne se vérifièrent (pie trop ; et bientôt j eus lieu


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