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fois je vis que pour aller de l’extrémité est à l’opposé ouest, il me falloit près de vingt minutes ; ce qui certainement annonce une longueur d’un quart de lieue au moins. Pendant que je m’occupois de mon arpentage, ma bonne fortune me rendit témoin d’un phénomène intéressant, que souvent les curieux ont cherché à observer sur la montagne, mais qui ne s’oftfe pas toujours avec la même pompe aux regards des observateurs : c’étoit la formation d’un de ces orages du sud-est, produit par l’amoncellement des nuages au sommet de la table, et qu’on appelle vulgairement la Perruque, ainsi que je l’ai dit dans mon premier voyage . Il faut que je le décrive ici, mais d’une manière plus précise , de peur qu’on ne prenne l’effet pour la cause, et qu’on n’attribue à l’ün ce qui appartient à l’autre. Celui-ci, s’annonça par une traînée de brouillards , que nous vîmes balayer sur la surface de la mer ; il s’ayançoit vers nous en passant par-dessus la Baie-Falso; son approche m’annon- çoit une des tempêtes les plus terribles ; mais je m’applaudissois d’être à portée de voir et d’étudier à cette hauteur, le développement d’un, aussi brillant spectacle, au risque de quelques légers inconvéniens r qui ne pouvoient entrer en balance avec les avantages que j’allois retirer de ces observations, qu’aucune circonstance ne me permettroit. peut-être jamais de répéter, si je laissois échapper celle qui se pré- sentoit si heureusement. Ainsi, sans désemparer je fis dresser ma tente vers l’est, et le plus près possible de cette partie de la montagne qui, déjà séparée de la Table, par l’action progressive et continue des éboulemens, des pluies et des vents, prend le nom particulier de Diable, et tend de plus en plus à s’isoler de cette grande masse. La traînée, en s’avançant, couvrit bientôt toute la vallée, de Baie- Falso jusqu’au pied des montagnes, et finit par nous dérober entièrement la vue du charmant paysage de Constance, dé Nieuwland et du Ronde-Bosch ; et puis, grossissant à vue d’oeil, il ne tarda pas à gagner successivement la hauteur de la Table ; et, en moins de deux heures , il s’accrut au point que non-seulement il couvrit la partie du terrain qui nous séparoit du Diable, mais encore nous enveloppa nous mêmes de toute part. Cette brume étoit si dense, qu’on ne pou- vôit rien distinguer à un pied loin de soi, Du reste, 1 atmosphère, malgré ce grand mouvement de vapeur, ne sembloit point troublée ; je ne sentois .pas un soufle de vent ; en revanche mes habits se mouil- loient insensiblement. J’a vois, eu plusieurs fois l’occasion de remarquer, que lorsque ces nuages venoient se répandre sur la Table , ils n’en couvroient que la partie orientale, tandis que l’occidentale restoitpure et intacte. Je sa-' vois encore, et je l’ai dit ailleurs, que souvent dans ces tems brumeux, un colon qui part de la ville pour se rendre à la Baie-Falso, peut choisir à son gré, ou de marcher sous un soleil brûlant en prenant par l’ouest, ou de s’exposer à une pluie continue en prenant par le côté opposé. Or, maintenant que je me trouvois sur la montagne au moment que le nuage s’appésantissoit su? elle, je pouvois aisément m’assurer quelle partie étoit couverte, quelle autre ne l’étoit pas ; puis qu’étant dans le nuage même, je n’avois qu’à pi archer jusqu’au moment où j ’en serois sorti. C’est ce que je fis en m’avançant vers l’ouest du plateau; mais à peine fiis-je à mi-chemin de ce plateau, que je me trouvai sous les rayons d’un soleil ardent, et sous un ciel de toutes parta très-serein. C’est alors que s’offrit à mes regards, le spectacle du plus bel ho- rison que j ’aie jamais considéré : je distinguois toutes les habitations qui parent les montagnes du Tigre, le Blauwe-Berg, le Groene-Kloof et lePiquet-Berg; la ville se trouvoit presque perpendiculairementsous mes pieds; mais lorsqu’avec ma lunette, je me mis à considérer les girouettes des maisons, je m’apperçus qu’elles, étoient tournées en tout sens, ce qui m’annonçoit que le plus grand calme y règnoit ainsi que sur la montagne, où il n’y avoit pas le moindre mouvement dans les airs, puisque les feuilles des arbres dormoient dans une immobilité profonde. î La baie étaloit un spectacle plus étonnant encore. Sa partie nord éprouvoit alors une rafale très-violente qui ne s’étendoit point, à la partie sud. Ainsi, par exemple , dans cette dernière partie, trois yaisseaux me sembloient jouir d’un repos parfait, et dans l’autre, H 2


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