me p a r u r e n t une plaisanterie ; et j'en étois mêmé si convaincu que, * malgré l’air de vérité avec lequel m’avoit parlé la fille de Slaber, malgré les protestations qu’ils me firent tous que le départ n étoit que trop vrai , j’allai visiter , avec Percheron , toutes les chambres de la maison pour y chercher les deux absens; ne doutant point qu ils ne fussent cachés pour nous faire pièce- Ils étoient partis! mon bienfaiteur m’avoit quitté! j’allois le perdre pour long-tems; et il ne me restoit d’autre consolation que de courir au Cap l’embrasser encore avant son départ. Le lendemain dès le point du jour 9 nous montâmes en voiture Percheron et moi. Arrivés chez Boers, les premiers objets qui frappèrent mes yeux furent ses malles qu’on enlevoit pour les transporter à bord, et lui-même m’annonça qu’il partoit le lendemain. En vain les médecins lui avoient représenté que sa santé.étoit trop foible pour supporter un aussi long voyage ; qu’il auroit dû,. avant de L’entreprendre, aller pendant deux ou trois mois reprendre à la campagne les forces nécessaires; et que d’ailleurs le bâtiment sur lequel il se proposoit de s’embarquer, étant beaucoup1 trop petit pour lui procurer une certaine aisance de logement, iL s’exposoit. témérairement à un danger de mort presqu’assuré : rien n’avoit pu l’arrêter. Ere- venu contre un pays dans lequel on lui avoit fait éprouver des désa- grémens qui n’àuroient pu que s’accroître encore, il n’aspiroit qu’au moment de s’en éloigner. D’ailleurs, en quittant la Hollande, il y avoit laissé un père respectable que son coeur lui rappeloit fortement, et qu’il n’avoit jamais cessé de regretter ; il préféroit enfin le bonheur de revoir sa famille aux agitations et aux peines qu’entraînent après soi la fortune et de vains honneurs. Quel que fut mon attachement pôur lui, livré souvent à des souvenirs non- moins chers, et bien capable à sa place d’imiter sa conduire^ je ne m’occupai point à combattre une résolution bien déterminée ; je ne songeai plus qu’à mettre à profit les courts instans que nous laissoit l’amitié. Je voulois qu’il en emportât un gage avec lui. Quoiqu’il ne fut naturaliste qu’autant que je lui en avois inspiré le goût, je me hâtai de faire dans tout ce que je possédois un choix précieux. en histoire naturelle, que j’envoyai a bord avec ses autres effets ; je nie serois presqu’embarqué avec lui, tant le découragement s’étoit emparé de momame n’ayant plus sous mes yeux un aussi digne conseiller, je devrois dire un consolateur, qui plus d une fois avoit reçu les épanchemena d’un coeur qui avoit aussi ses disgrâces à dévorer. Enfin, je vis arriver le 2.5 octobre 1783, époque malheureuse qui s’est plus d’une fois retracée à mon esprit, et de tous les événe- mens dé ma vie celui'qui m’a coûté le plus d’ènnuis et de regrets. Il fallut nous séparer.. « Je pars tranquille sur tout ce qui vous'1 «regarde, me dit-il avant de me quitter; je vous ai recommandé «âmes amis les plus intimes, et je réponds dé leurs soins comme « de moi.. Cependant pour ne pas vous être entièrement inutile en- «coredans votre grande entreprise, j ’ài voulu y contribuer par quel-- « qués bagatelles qui ne me sont'plus nécessaires, et que je vous prie « d’accepter : ce sont mes deux fusils, deux chevaux de course avec; «leur harnois complet, et, pour vous épargner un détail de misè- « res , tous mes ustensiles de chasse *>v J’étois si oppressé que je ne pouvois repondre. Sans me donner le tems de parler, il me montra sur un fauteuil une robe de chambre pour laquelle je lui avois vu une prédilection marquée, quoiqu’il né la mit que rarement et dans certains jours choisis. .« Ce vête- «ment, ajouta-t-il, est une étoffe qu’a portée ma mère, et qu’à « mon départ pour l’Afrique elle me pria de porter a mon tour pour « l’amour d’êll'e , comme un- monument de sa tendresse et un signe « éternel dé ressouvenir. Jusqu’ici j ’ài rempli ce devoir avec la plus. « tendre affection ; quoique depuis quelque tems il me rappellât dou- « loureusement que ma mère ne vit plus ; mais à présent que je vais «me fixer auprès de mon père pour consoler sa vieillesse, puis-j a «conserver davantage ce qui sans cesse exposeroit à ses yeux, 1* « perte qu’il a faite? Il faut désormais que mon ami le porte pour « moi;.à ce titre, c’est à vous, mon cher Vaillant, que je le transmet^ « non comme un présent ordinaire,. mais comme un legs qui me fut « fait à moi-même, comme un legs qui me fut précieux, et que je:
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