5o V O Y A G E qui semblorent se préparer âne faire grâce le lendemain à personne ; j ’en vis même plusieurs passer auprès de ma cabane et hausser le ton pour se faire entendre. Enfin, le jour parut: douce clarté qui dissipe les fantômes de l’imagination et rend aussi les mechans moins téméraires et moins audacieux. Ce que nous avions espère arriva : la réflexion et peut-être plus encore la crainte d’un châtiment bien mérité, calma la fureur des plus ardens. Percheron saisissant avec adresse le moment favorable , fit un discours véhément dans lequel il peignit avec chaleur et les torts de l’équipage insurgé et les peines sévères que la loi inflige en pareil cas ; puis , rejettant adroitement la cause des troubles sur les hommes perfides qui les avoient séduits et trompés, afin de les conduire' a un pareil excès de desordre , il promit d’excuser tous ceux qui, n’ayant été qu’abusés, se ran- geroient dorénavant sous la discipline du vaisseau; de là passant au chef de l’émeute qui, quoique arrêté fomentolt encore, sans doute, quelques nouveaux troubles, il lui fit une verte réprimande. Cet homme étoit garrotté et étendu entièrement n u , dans une cage à poulets, fermée et barricadée par des cerceaux de fer : c’étoit un de ces êtres à qui la nature a donné avec une constitution robuste, cette force d’esprit, ce mépris des dangers et de la mort à la fois si nécessaire et si funeste dans les factions ; il étoit encore menaçant : On l’avoit saisi au moment où il ne s’y attendoit pas, car a lui seul il au- roit fait trembler l’équipage entier. Le soin de le punir et de prononcer en dernier ressort sur ce chef dangereux fut remis à la justice du Cap; en conséquence Percheron donna l’ordre qu’on y transférât le prisonnier. Dès cet instant le calme parut retahli pour long-tems, et nous restâmes convaincus que dans toute émeute il ne faut souvent, pour rendre la tranquillité à une multitude égarée, qup lui ravir son chef ou l’abattre à ses propres yeux. Quant au reste des mutins, ils lurent livrés à la clémence du capitaine et des officiers , qui accordèrent une amnistie générale , et tout rentra dans l’ordre. Nous nous fîmes reconduire à terre”, plus empressés que jamais de la revoir et d’aller raconter à nos hôtes tranquilles toutes les circonstances d’un péril qu’aucun de nous n’avoit soupçonné. ^ Je ne m’attendois guère que cette bisarre aventure seroit suivie d’un nouveau chagrin dont les suites se prolonger oient long-tems dans ma mémoire, et qu’en quittant pour un jour mes amis les plus chers, j’aurois à pleurer la perte de l’un d’entre eux et à me préparer incessamment à ne plus le revoir. A mesure que j’approchois de la maison de Slaber je tirai, selon ma coutume, des coups de fusil, pour avertir de notre arrivée et engager nos amis à venir au-devant de nous. Malgré mes signaux réi pétés , personne ne parût ; et ce silence de l’amitié sembla m’annoncer quelque nouvelle fâcheuse. Bientôt mes soupçons furent’vérifiés , quand, entrant dans la salle, je vis les filles de Slaber venir à moi avec l’air de la tristesse et l’intérêt du sentiment. Allarmé de cet acceuil, dont je croyois qùè le motif les concemoit personnellement, je m’empressai de leur demander quel malheur elles avoient éprouvé depuis mon départ. « Ce que « j ’ai à vous anoncer ne regarde que vous, me dit l’une d’elles: cc Boers est reparti pour le Cap, et avant peu vous allez le perdre. « Pendant votre absence il a reçu dé Hollande des dépêches par les- « quelles la Compagnie accepte la démission qu’il avoit sollicitée ; « e t, comme , en ce moment , il y a dans la baie un bâiment prêt à cc faire voile pour l’Europe, et. qu’il a résolu de s’y embarquer, il est « monté à cheval avec Larcher, et nous a quittés pour aller sans dé- « lai faire à la ville les préparatifs de son départ. Nous nous trou- « verions heureux si , après l’avoir perdu, nous pouvions vous gar- « der quelques tems ici, vous et votre ami : cependant je me crois « obligée de vous dire qu’en partant, Boers a prévu que, peut- « être, vous voudriez lui donner le plaisir de yous voir encore au «Cap; dans ce dessein, il a laissé ici sa voiture et ses chevaux S, et cc voici une lettre qu’il vous a écrite, et que je me suis chargée' de « vous remettre. » Le début de ce discours m’avoit consterné, je l’avoue ; mais la fin, je ne sais pourquoi, me rassura. Je m’imaginai que, par gaieté, on âvoit voulu s'amuser de moi tin instant. Cette lettre, cette voiture G 2
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