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de l’équipage. Aux mouvemens impétueux de cette troupe effrénée , tout sembloit présager qu’elle alloit se livrer encore aux derniers excès; quelques hommes plus entreprenons, s’agitoient avec plus de fureur ; ils trayersoient avec rapidité d’un bord à l’autre, afin de communiquer partout, ou leurs transports, ou leur crainte sur l’arrivée du commissaire. Lafoible lueur qui éclairoitle vaisseau, répan- doit une teinte lugubre mais sublime sur cette scène horrible: on eût dit les démons se démenant au sein des ondes pour y tourmenter des humains. En mêmeTtems nous nous vîmes enveloppés par cette multitude égarée. Ce fut alors que je sentis tout le danger de notre position. Le titre de commissàire dont étoit revêtu Percheron, et qui sembloit ne l’amener à bord que pour y prononcer le châtiment des coupables n’étoit rien moins que rassurant; la proscription ne pouvoit plus manquer de m’atteindre , moi, qui seïnblois n’être venu sur le vaisseau que pour y prêter mon appui; on murmuroit hautement contre lui, contre moi; que dis-je., on. murmuroit ? nous étions les coupables, et les yeux menâçàns de Ces juges terribles nous disoient assez tout ce que le pouvoir de la force , uni à la rage , peut exercer de tourmens sur la foiblesse et l’innocence. J’ai trop éprouvé dans cette crise violenté à quel fil délié souvent nos jours sont attachés, et de quel hasard inespéré quelquefois dépend notre salut : si un de ces conspirateurs eût prononcé l’arrêt de notre mort, cent bras à l’instant l’auroient sans doute exécuté ; la mer eut été notre tombeau à tous les deux. J’avois, à la vérité, un fusil à deux coups ; mais mon compagnon étoit sans armes. Quant au capitaine et aux officiers , incapable^ d’en imposer par un peu de fermeté, ils sembloient à notre arrivée attendre dans une affreuse consternation les derniers coups d’une ’ explosion qui ne tendoit à rien moins qu’à détruire à la fois et J’équiqage et le vaisseau qui le portoit. Puisqu’il ne nous étoit plus possible de nous soustraire au danser dont nous étions menacés, notre seule ressource V étoit d’attendre .. ^ / l ’événement, en faisant bonne contenance ; c’est aussi le parti que nous prîmes. Cette résolution nous donna des forces : Percheron s’embarrassant \ S’embarrassant peu des menaces des mécontens, dit avec autorité qu’il prétendoit qu’on l’instruisit des détails et des causes de l’insur- reetion, promettant' de rendre une égale justice à l’équipage, soit que ses plaintes ’fussent fondées, soit qu’il fut sorti des bornes de l ’obéissance nécessaire ; et soudain prêtant l’oreille à ceux qui sembloient -commencer le récit de cette affaire, il ne tînt aucun compte des murmures et des gestes animés des autres. Sa tranquillité calma insensiblement lettr colère de telle sorte enfin, que, sous prétexte de prendre de nouvelles informations et d’administrer à ■chacun une justice éclatante , il renvoya au lendemain matin l’examen des autres matelots qui prétendoient avoir à parler. Percheron avoit espéré que le sommeil calmeroit les esprits et présenteroit à son autorité quelques ressources favorables. Il n’y avoit nul moyen de sortir du vaisseau; et, puisque nous en étions arrivés à cette extrémité, il eût été aussi lâche qu’imprudent d’abandonner l’équipage au péril de cette tempête furieuse. Les apprêts du souper se ressentirent du trouble où nous étions tous plongés : nous songeâmes à prendre quelque repos. Le capitaine donna son lit à Percheron ; le premier pilote me céda sa cahute qui étoit sur le pont. Cette loge avoit une lucarne dont les vîtres avoient ■été brisées dès le commencement du trouble : car dans les insurrections c’est sur les vîtres et les lanternes que les mécontens commencent à assouvir leur première colère; il semble que ces objets, par le bruit qu’ils font en se brisant, apaisent et satisfassent les fureurs de la foule ameutée. Cette lucarne fût pour moi un sujet d’inquiétude : il me paroissoit alarmant ; je devois redouter un pareil judas qui perinettoit aisément (la tête de mon lit se trouvant en face') à quelque mal-intentionné de me lâcher, pendant la nuit, un coup_ de pistolet, si le désordre venoit à recommencer. Pour parer, autant qu’il étoit en moi, à toute surprise , je commençai par éteindre ma lumière ; puis, ayant changé la direction de mon lit et placé à côté de moi mon fusil bien chargé, j’attendis le jour et sommeillai comme je pus. Dans les intervalles du réveil, j’entendois les discours de quelque séditieux qui se promenoient SHr le pont, et Tome I. G


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